Page:Émile Faguet - L'Art de lire.djvu/16

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dans la seconde, ou dans la troisième ? Probablement cette vérité, elle aussi, nous fuit d’une fuite éternelle ; probablement les auteurs sont inépuisables en raison de ce qu’ils ont et en raison de ce qu’en les lisant, nous mettons en eux ; mais l’essentiel est de penser, le plaisir que l’on cherche en lisant un philosophe est le plaisir de penser, et ce plaisir nous l’aurons goûté en suivant toute la pensée de l’auteur et la nôtre mêlée à la sienne et la sienne excitant la nôtre et la nôtre interprétant la sienne et peut-être les trahissant ; mais il n’est question ici que de plaisir et il y a des plaisirs d’infidélité et l’infidélité à l’égard d’un auteur est un innocent libertinage.

Encore, en lisant un philosophe, il faut faire attention à ses contradictions. Les contradictions sont les accidents de paysage d’un grand penseur. On serait désolé qu’il n’en eût point et que son paysage fût trop bien composé. Il semblerait alors que son œuvre fût ce tableau dont parlait Musset, « où l’on voit qu’un monsieur bien sage s’est appliqué ». On n’est point fâché que la liberté d’esprit, que la spontanéité, que le jaillissement intellectuel se marque à ceci que le penseur n’a pas toujours pensé la même chose et n’a pas tiré toutes ses idées les unes des autres comme des formules algébriques. La contradiction appelle l’attention, l’excite, la ravive, la transforme en réflexion, la féconde infiniment. Je ne souhaite pas que les auteurs abondent