Page:Émile Faguet - L'Art de lire.djvu/24

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votre attention sur le moment du réveil. En posant le beau roman, nous nous réveillons au sens propre du mot, nous nous frottons les yeux, nous nous étirons, nous nous ébrouons ; nous sentons très nettement que nous passons d’une vie dans une autre et que nous nous diminuons, ou que nous tombons de haut. C’est une âme qui s’était unie à la nôtre, à laquelle nous nous étions unis et qui nous quitte.

Voilà ce que j’appelle s’abandonner, ce qui est nécessaire absolument quand c’est à un écrivain de sentiment que l’on a affaire. Mais, il est bien entendu qu’il n’est pas défendu de se reprendre et ressaisir, et il y a même à se reprendre et à réfléchir des plaisirs nouveaux. Réfléchir sur une œuvre d’imagination consiste surtout en ceci : se demander si les personnages sont vraisemblables et naturels et goûter leur vérité, comme en lisant l’on a goûté la beauté, l’intensité de leur vie morale. On me dira : selon quel critérium pourrons-nous juger de la vérité d’un personnage ? Je répondrai : par ce que vous avez vu et observé autour de vous. Sans doute, c’est là un très petit champ d’observation, et ce qu’on en a tiré est par conséquent un critérium, pour ainsi parler, très pauvre. Je ne connais pourtant pas d’autre moyen de juger de la vérité.

Il est probable que, par manque de termes de comparaison, nous nous trompons très fréquemment et que l’auteur qui nous dit : « Ces personnages que vous trouvez invraisemblables, je les ai connus » a