Page:Émile Faguet - L'Art de lire.djvu/29

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arrive souvent que nous nous disions : « du moins, ce n’est pas impossible ». C’est qu’un retrait inexploré de notre âme s’est à demi révélé à nous, c’est qu’une partie du subconscient, par l’effet de cette aide étrangère, est entrée dans notre conscient, c’est que nous nous voyons plus profondément qu’auparavant.

C’est ainsi que la lecture, si elle exige l’habitude de l’examen de conscience, par contre-coup aussi nous la donne. Du jour, où déjà, bon lecteur, nous nous avisons de comparer les personnages d’une fiction, non aux gens connus de nous, mais à nous-mêmes, nous prenons cette habitude, et nous nous lisons comme un livre, du moins comme un manuscrit difficile, avec attention et application, et quand nous revenons aux livres, nous avons acquis une aptitude plus grande à les comprendre et à les juger, ce qui, du reste, est la même chose. Il est certains livres qu’on ne sait guère comment lire et pour lesquels on sent que l’on n’a point de critérium. Ce sont les livres où sont rapportés, décrits et dépeints, des caractères d’exception. Ce ne sont point des livres faits pour le plaisir, chez l’auteur, de conter, chez le lecteur, d’entendre bien conter ; ce ne sont pas des livres d’observation générale et par conséquent que nous puissions contrôler ; ce ne sont point des livres d’idéalisation et que par conséquent nous puissions contrôler encore en ce sens qu’ils présentent comme réalisé ce qui est en nous