Page:Émile Faguet - L'Art de lire.djvu/86

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et en permettant du reste qu’on se moque de moi — je ne puis pas me décider à croire que je n’ai pas raison contre l’auteur. Je me suis toujours récité à moi-même la fin du Semeur de la façon suivante :

L’ombre où se mêle une lueur,
Semble élargir jusqu’aux étoiles
Le geste auguste du semeur,

C’est le sublustri noctis in umbra, que j’avais dans l’esprit, qui me faisait altérer ainsi le vers de Victor Hugo. Le texte est : « L’ombre où se mêle une rumeur ». Je ne puis pas le préférer. Il n’y a pas de rumeur à ce « moment crépusculaire », et il est indifférent pour l’effet à produire qu’il y en ait une ou qu’il n’y en ait pas, et c’est à ce « reste de jour » mêlé à l’ombre que l’auteur et le lecteur doivent penser, pour bien voir le geste du semeur élargi jusqu’au ciel. Je penche à croire que Victor Hugo a mis « rumeur » par horreur de la rime pauvre.

Quoi qu’il en soit, ces corrections de soi-même et même ces corrections de l’auteur, quelque irrespectueuses et quelque aventureuses qu’elles soient, aiguisent le goût, tout au moins vous renseignent, ce qui n’est pas sans profit, sur celui que vous avez.

Il est un autre exercice, tout voisin de celui-ci, qui consiste à aviser dans un poète médiocre, intéressant pourtant, une pièce qui ne vous déplaît pas, mais qui ne satisfait pas entièrement votre goût, que l’on approuverait tournée d’autre façon, comme dit Boileau, et de la refaire en promenade ou dans une