Page:Émile Faguet - L'Art de lire.djvu/92

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vêtement où quiconque peut se couler et, s’y étant introduit, admirer ou goûter la figure qu’il y fait. Un texte obscur est un miroir brouillé où chacun contemple le visage qu’il rêve d’avoir. Il y a donc des gens qui comprennent quelque chose dans les textes inintelligibles à savoir ce qu’ils y ont mis et qui ont besoin de textes inintelligibles pour n’être point passifs dans une lecture, pour ne pas subir, pour n’être pas réduits au rôle d’adhérents, et pour n’adhérer, plus ou moins consciemment, plus ou moins inconsciemment, qu’à eux-mêmes.

Et enfin il y a ceux, très sincères et très désintéressés, les vrais dévots de ce culte-ci, assez nombreux encore, qui ne peuvent admirer que ce qu’ils ne comprennent pas. Ils existent ; il y en a même plus qu’on ne croit ; c’est une disposition d’esprit ; c’est l’attrait du mystère ; c’est la curiosité du caché, c’est l’attraction de l’abîme, c’est un vertige doux ; c’est le prestige exercé sur nous par ce qui nous dépasse, échappe à nos prises, nous défie. Par jeu, je disais dans ma jeunesse : « Je n’admire que ce que je ne comprends pas, que ce que je me sens incapable de comprendre, et il me semble que c’est tout naturel. Ce que je comprends, il me semble que moins le style, moins un certain tour de main, que je n’ai pas, je le ferais. Donc je ne l’admire pas, je l’approuve ; je ne l’admire pas, je le reconnais ; il ne m’éblouit pas, il augmente en moi une lumière que j’avais déjà. Ce que je ne comprends pas me dépasse