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XXIII
PRÉFACE

plaçant la rime par l’assonance et gardant dans le choix et la combinaison des rythmes l’indépendance la plus entière.

Or il est aisé de voir que Nelligan, souvent symboliste par sa conception des entités poétiques, est presque toujours parnassien par leur expression. Il a le goût très vif de cette musique savante à laquelle les « jeunes » voudraient substituer la simple voix des brises et des flots. Il n’a jamais suivi ce précepte capital de l’Art poétique de Verlaine :

Mais avant tout préfère l’impair
Plus vague et plus soluble dans l’air,
Sans rien en lui qui pèse ou qui pose.

Il rime le vieil alexandrin, avec les seules licences autorisées par Hugo[1], et il le rime richement, royalement même, à la façon de Banville, de Gautier, et de Hérédia. Le sonnet et le rondel, ces formes classiques par excellence, ont toutes ses prédilections.

Ainsi, de ses attaches symbolistes et de son culte parnassien, naît une originalité composite, assez bien balancée toutefois, et qui embrasse et élargit l’un et l’autre genre. Jardin d’antan est, ce me semble, un exemple typique de cet alliage :

Rien n’est plus doux aussi que de s’en revenir,
       Comme après de longs ans d’absence,
              Que de s’en revenir
       Par le chemin du souvenir
           Fleuri de lys d’innocence
           Au jardin de l’Enfance.

Au jardin clos, scellé, dans le jardin muet
       D’où s’enfuirent les gaîtés franches,
              Notre jardin muet,
       Et la danse du menuet
           Qu’autrefois menaient sous branches
           Nos sœurs en robes blanches.

Aux soirs d’avrils anciens, jetant des cris joyeux,
       Entremêlés de ritournelles,
              Avec des lieds joyeux,
       Elles passaient, la gloire aux yeux,
           Sous le frisson des tonnelles
           Comme en les villanelles.

  1. Il faut excepter pourtant la loi de l’alternance des rimes, dont il s’affranchit volontiers, et non sans trouver dans cette audace des effets harmoniques étonnants.