Page:Érasme - Éloge de la folie, trad de Nolhac, 1964.djvu/115

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ces questions ? Combien entre autres n’en est-il pas d’oiseuses, de pernicieuses, ne fût-ce qu’à cause des disputes et des dissidences qu’elles font naître ? — Mais, dira-t-on, il y a des points à élucider, d’autres à résoudre. — Je ne dis pas non ; mais en revanche il y en a beaucoup qu’il vaut mieux négliger que rechercher : il appartient à la science d’en ignorer certains ; il y en a beaucoup aussi sur lesquels il est plus sage de douter que de décider. S’il fallait finalement décider, je voudrais qu’on le fit avec respect, non avec arrogance, et d’après les saintes Écritures, non d’après les ratiocinations artificielles des hommes. Aujourd’hui on n’en finit pas avec ces petites questions, qui sont pourtant le prétexte d’un si grand désaccord des sectes et des partis. Chaque jour un décret succède à un décret. Bref, on en est arrivé au point que l’essentiel de la religion dépend moins de la prescription du Christ que des définitions des scolastiques et du pouvoir des évêques, quels qu’ils soient. De cette façon tout a été si bien embrouillé qu’il n’y a même plus le moindre espoir de ramener le monde au vrai Christianisme. C’est cela et beaucoup d’autres choses que découvrent et déplorent les hommes les plus vénérables et les plus savants, qui en rejettent la cause première de toute cette situation sur la race effrontée et irrévérencieuse des modernes théologiens.


XX. — Oh ! si tu pouvais, mon cher Dorpius, secrètement voir ce qu’il y a au fond de mon cœur, sans doute comprendrais-tu combien j’ai, par prudence, été réticent sur ce point. La Folie ne touche pas à ces questions, ou, du moins, elle y touche très légèrement, pour ne choquer personne. J’ai toujours eu soin de prendre les mêmes précautions, crainte d’écrire rien d’obscène, rien de pernicieux pour les mœurs, rien de séditieux ou qui pût sembler avoir un caractère injurieux pour aucun ordre. Si l’on y parle du culte des Saints, tu trouveras toujours quelque note attestant ouvertement qu’on ne blâme que la superstition de ceux qui n’honorent pas les Saints comme il faut. De même, si l’on y dit du mal des princes, des évêques, des moines, nous ajoutons toujours une note pour déclarer qu’on n’a pas dit cela pour injurier un ordre, mais les gens corrompus et indignes de leur ordre, crainte de froisser un homme de bien en poursuivant les vices des méchants. De lus, en retranchant de mon œuvre tous les noms, j’ai ait mon possible pour