Page:Érasme - Éloge de la folie, trad de Nolhac, 1964.djvu/122

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je pourrais être ton père), laisse-moi obtenir de toi ce que je désire, soit de bon gré, soit d’autorité, à défaut d’arguments. Il ne me semblera que je suis éloquent, comme tu veux bien me l’accorder, que si je te persuade. Si j’y réussis, nous aurons à nous réjouir l’un et l’autre, moi de t’avoir donné ce conseil, et toi de l’avoir suivi. Et toi qui es dès maintenant le plus cher de tous mes amis, tu me deviendras beaucoup plus cher encore parce que je t’aurai rendu plus cher à toi-même. Sinon, je crains que, dans un âge plus avancé et instruit par l’expérience, tu n’approuves mon conseil et ne condamnes ta résolution, et que, comme il arrive presque toujours, tu ne te rendes compte de ton erreur que quand il sera trop tard pour y remédier. Je pourrais t’énumérer par leur nom une foule de personnes qui, sous des cheveux blancs, sont redevenus enfants en apprenant cette langue, parce qu’enfin elles avaient remarqué que sans elle l’étude des lettres était manchote et aveugle. Mais en voilà déjà beaucoup trop sur ce point.


XXVI. — Pour en revenir à ta lettre, comme tu crois que le seul moyen d’apaiser la haine des théologiens et de reconquérir leur ancienne faveur serait d’opposer par une sorte de palinodie les louanges de la Sagesse à l’éloge de la Folie, tu me recommandes vivement et me conjures de le faire. Moi, mon cher Dorpius, qui ne méprise que moi-même, et qui désirerais, s’il se pouvait, faire l’apaisement général, je ne reculerais pas à entreprendre cette tâche si je ne prévoyais que la haine qui a pu naître chez un tout petit nombre de gens malhonnêtes et ignorants, loin de s’éteindre, irait s’exaspérant. Aussi estimé-je qu’il vaut mieux « ne pas remuer le mal assoupi et ne pas toucher à cette Camarine ». Il est préférable, si je ne me trompe, de laisser le temps à cette hydre de mourir.


XXVII. — J’en arrive maintenant à la seconde partie de ta lettre. Tu approuves fort le soin que je prends à rétablir le texte de Jérôme, et tu m’encourages à de pareils travaux. Tu y encourages, à vrai dire, un homme qui court déjà, et qui a d’ailleurs moins besoin d’encouragement que de secours, tant il y a de difficulté dans sa tâche. Je voudrais que désormais tu ne me crusses en rien, si je ne dis pas ici l’exacte vérité. Ces gens que choque si fort la Folie n’approuveront pas non plus la