Page:Érasme - Éloge de la folie, trad de Nolhac, 1964.djvu/13

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fait de même pour le début du xxe siècle. Chas-Laborde, en mettant au service du texte immortel la plus étourdissante fantaisie, a fait la première tentative, depuis Holbein, de replacer les fantoches d’Érasme dans l’atmosphère où ils ont été conçus.

L’éditeur français de 1676 paraît préoccupé de présenter au ministre de Louis XIV un Érasme dépouillé de tout soupçon d’hétérodoxie. La réputation qu’il devait à ses ennemis persistait au xviie siècle et allait le poursuivre toujours. Les moines, même régénérés, ont la rancune longue, et quand la Sorbonne condamne, c’est pour longtemps.

Escrimez-vous, bon Patin, à pourfendre la calomnie ! Mettez en lumière cette noble philosophie chrétienne, qui éclaire l’immense labeur de la vie d’Érasme et transparaît même dans les jeux débridés de son esprit ! Replacez dans sa juste perspective le pamphlet que vous présentez à vos lecteurs, cette satire des gens d’Église qui épargne en ses attaques l’Église elle-même, cette violente image du pape Jules II qui tient hors de cause la Papauté, cette malice sans méchanceté qui tend à rendre les hommes meilleurs et nullement à les diviser ! Vous pourriez rappeler que le théologien qui réfutera Luther n’a jamais cessé de se réclamer de l’unité romaine, qu’il a gardé à Rome les plus fidèles amitiés, même dans ce Sacré-Collège où il ne tint qu’à lui d’être admis, et qu’il n’a point cru nécessaire, pour détruire les abus, d’abattre l’institution qui abritait la chrétienté. Vous pourriez noter qu’il y eut quelque mérite et qu’il y risqua son repos ; mais, disait-il, « quels que soient les dangers qui me menacent en Allemagne, je n’écouterai jamais que ma conscience, je n’irai à aucune secte nouvelle, je ne me séparerai jamais de Rome ». La vaste correspondance d’Érasme est pleine d’affirmations de ce genre, dont ses livres et sa carrière attestent la sincérité. Comment douter de la loyauté d’un écrivain qui, mettant au plus haut prix la liberté d’écrire, la tient toute sa vie au service de ses croyances ?

Cependant, ô Patin ! on en doute encore, et ni vous, ni moi n’y pouvons rien. Les hommes ne veulent pas être dérangés dans leurs légendes et n’aiment pas qu’on leur change leur vérité. Notre Érasme continuera à être suspecté par ses coreligionnaires, pour avoir écrit l’Éloge de la Folie.