Page:Érasme - Éloge de la folie, trad de Nolhac, 1964.djvu/22

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que celle des femmes, mais à l’imitation de ces anciens qui, pour échapper à l’appellation déshonorante de Sages, choisirent celle de Sophistes. Leur zèle s’appliquait à composer des éloges de dieux et de héros. Vous entendrez donc un éloge, non d’Hercule, ni de Solon, mais le mien, celui de la Folie.


III. — Écartons les sages, qui taxent d’insanité et d’impertinence celui qui fait son propre éloge. Si c’est être fou, cela me convient à merveille. Quoi de mieux pour la Folie que de claironner elle-même sa gloire et de se chanter elle-même ! Qui me dépeindrait plus véridiquement ? Je ne sache personne qui me connaisse mieux que moi. Je crois, d’ailleurs, montrer en cela plus de modestie que tel docte ou tel grand qui, par perverse pudeur, suborne à son profit la flatterie d’un rhéteur ou les inventions d’un poète, et le paye pour entendre de lui des louanges, c’est-à-dire de purs mensonges. Cependant, notre pudique personnage fait la roue comme un paon, lève la crête, tandis que d’impudents adulateurs comparent aux dieux sa nullité, le proposent, en le tenant pour le contraire, comme un modèle accompli de toutes les vertus, parent cette corneille de plumes empruntées, blanchissent cet Éthiopien et présentent cette mouche comme un éléphant. En fin de compte, utilisant un vieux proverbe de plus, je déclare qu’on a raison de se louer soi-même quand on ne trouve personne pour le faire.

Et voici que je m’étonne de l’ingratitude des hommes, ou plutôt de leur indifférence ! Tous me font volontiers la cour, tous, depuis des siècles, jouissent de mes bien-faits, et pas un n’a témoigné sa reconnaissance en célébrant la Folie, alors qu’on a vu des gens perdre leur huile et leur sommeil, à écrire en l’honneur des tyrans Busiris et Phalaris, de la fièvre quarte, des mouches, de la calvitie et de maint autre fléau. Vous entendrez de moi une improvisation non préparée, qui en sera d’autant plus sincère.


IV. — Le commun des adorateurs dit ainsi pour se faire valoir ; vous savez bien qu’un discours qui leur a pris trente années de travail, ou qui n’est pas toujours leur ouvrage, ils jurent qu’ils n’ont mis que trois jours à l’écrire, en se jouant, ou même à le dicter. Quant à moi,