Page:Érasme - Éloge de la folie, trad de Nolhac, 1964.djvu/53

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vent le jeu ne s’achevait par des rages, ce qui est du ressort des Furies, non du mien.


XL. — Je reconnais authentiquement de notre farine ceux qui se plaisent à écouter ou à conter de mensongères et monstrueuses histoires de miracles. Ils ne se lassent point d’entendre ces fables énormes sur les fantômes, lémures et revenants, sur les esprits de l’Enfer et mille prodiges de ce genre. Plus le fait est invraisemblable, plus ils s’empressent d’y croire et s’en chatouillent agréablement les oreilles. Ces récits, d’ailleurs, ne servent pas seulement à charmer l’ennui des heures ; ils produisent quelque profit, et tout au bénéfice des prêtres et des prédicateurs.

Bien voisins sont les gens qui, par une folle mais douce persuasion, se figurent que la rencontre d’une statue ou d’une peinture de ce Polyphème de saint Christophe les assure de ne point mourir dans la journée, ceux qui adressent à sainte Barbe sculptée les paroles prescrites qui font revenir sain et sauf de la bataille, ceux qui s’adressent à saint Érasme à certains jours, avec certains petits cierges et certaines petites prières, convaincus qu’ils feront fortune promptement. De même qu’il y a pour eux un second Hippolyte, ils ont trouvé en saint Georges un autre Hercule. Ils en sont presque à adorer son cheval très dévotement caparaçonné et adorné ; de petits présents gagnent ses faveurs et jurer par son casque d’airain est un vrai serment de roi.

Que dirai-je de celui qui se flatte délicieusement d’obtenir pour ses crimes des pardons imaginaires, mesure comme à la clepsydre la durée du Purgatoire, et s’en fait une table mathématique infaillible de siècles, années, mois, jours et heures ? ou de qui se nourrit de formules magiques et d’oraisons inventées par un pieux imposteur, vaniteux ou avide, et qui s’en promet tout, richesses, honneurs, plaisirs, abondance, santé toujours solide, verte vieillesse et, pour finir, un siège au Paradis, auprès du Christ ! Encore ne veulent-ils s’y asseoir que le plus tard possible, quand les voluptés de cette vie, auxquelles ils se cramponnent, les abandonneront malgré eux et qu’ils devront se contenter de celles du Ciel. Voyez donc ce marchand, ce soldat, ce juge, qui, sur tant de rapines, prélèvent un peu de monnaie et s’imaginent, en l’offrant, purifier d’un seul coup le marais de Lerne qu’est leur vie, racheter par un simple pacte