Page:Érasme - Éloge de la folie.djvu/136

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une thèse de théologie ; cela m’arrive fort souvent. Quelqu’un demanda quel était le texte de l’Écriture qui ordonnait de brûler les hérétiques au lieu de les convertir par la persuasion. Un vieillard, dont l’air farouche suffisait pour dénoncer un théologien, répondit avec véhémence que le précepte se trouvait dans Paul, à l’endroit où il dit : « Hæreticum hominem post unam et alteram correptionem devita. » (Évitez l’hérétique après l’avoir repris une ou deux fois.) » Il répéta cette phrase coup sur coup du même ton furieux, à ce point que l’assemblée se demandait s’il ne perdait pas la tête ; lorsqu’il donna son explication « Hæreticum de vita, dit-il. (Il faut retrancher l’hérétique de la vie !) Quelques-uns éclatèrent de rire, d’autres trouvèrent l’argument de tout point théologique ; certains enfin ne se rendirent pas à cette preuve, qui leur parut insuffisante. « Écoutez donc alors, s’écria l’orateur, il est écrit : « Maleficum ne patiaris vivere. » (Ne laissez pas vivre le malfaisant.) Or, tout hérétique est malfaisant, « ergo… » Tout l’auditoire tomba ébahi devant ce trait de génie, et approuva sans restriction cet argument lumineux. Mais il ne vint à l’esprit d’aucun de ces rustres que cette loi avait été faite pour les sorciers, les enchanteurs et les devins, tous gens que l’hébreu désigne par le même mot qui veut dire malfaisant. Sans quoi, pour être conséquent, il faudrait aussi brûler les ivrognes et les fornicateurs.

Mais vraiment je suis folle de m’arrêter à ces sottises, qui rempliraient plus de volumes que n’en ont jamais barbouillé les Chrysippe