Page:Érasme - Éloge de la folie.djvu/138

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sont les mêmes sans doute qui rendent suspects aux princes de la terre les gens trop sensés. César, qui méprisait cet ivrogne, d’Antoine, redoutait au contraire Brutus et Cassius. Sénèque déplaisait à Néron et Platon à Denys de Syracuse. Les esprits simples et un tantinet idiots sont honorés de la faveur des grands. C’est ainsi que le Christ montre son aversion pour ces philosophes qui ont foi en leur sagesse et qu’il les condamne. J’en prends encore ici Paul à témoin, lorsqu’il écrit : « Dieu a choisi ce qu’il y a de plus fou aux yeux du monde… » et plus loin : «… Dieu a voulu que le monde fût sauvé par la Folie. » Assurément c’est qu’il ne pouvait le faire par la sagesse. Ce qu’il met dans la bouche de son prophète ne laisse aucun doute à cet égard : Je perdrai la sagesse des sages et je réprouverai la prudence des prudents. » Le Sauveur ne se félicite-t-il pas en définitive d’avoir caché le mystère du salut aux sages pour ne le révéler qu’aux simples, c’est-à-dire aux fous, car enfin un même mot exprime les deux choses. C’est de la même idée qu’il faut faire procéder l’indignation qu’il déploie à chaque instant contre les pharisiens, les scribes et les docteurs de la loi, et la douceur qu’il montre au contraire au peuple ignorant : « Malheur à vous, scribes et pharisiens ! » — n’est-ce pas comme s’il avait dit : Malheur aux sages ! Les petits enfants, les femmes, les pécheurs, voilà ceux qu’il accueillait avec amour !

Les animaux qui lui plaisent le mieux sont ceux qui s’éloignent le plus du naturel astucieux du renard. Il prit un âne pour mon-