Page:Érasme - Éloge de la folie.djvu/36

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chasser le silence et la tristesse loin des buveurs, à force de balourdises désopilantes, c’est-à-dire folles. Quoi ! toujours se farcir l’estomac de fins morceaux et de friandises de toute espèce, et les yeux, les oreilles ne prendraient pas part à la fête ! Et les rires, les jeux, les plaisanteries n’auraient pas place au festin ! Je ne puis souffrir une telle lacune, c’est pourquoi j’apprête avec soin un autre genre de service. Toutes ces joyeuses cérémonies qu’on célèbre autour de la table, sont-ce les sept sages de la Grèce qui les ont inventées ? Sont-ce eux qui vous ont montré à tirer au sort le roi du festin, à jouer aux dés, à porter des santés, à chanter et boire à la ronde, à danser et vous ébaudir ? Non, vraiment, c’est encore moi qui les trouvai pour le salut du genre humain. La vie est ainsi faite, que plus on y met de folie, plus on vit ; la tristesse c’est la mort. Sans les plaisirs que je procure, je le répète, rien d’aussi pénible que l’existence, elle ne saurait échapper à l’ennui, son trop fidèle suivant.


On rencontre des gens qui, dédaignant les plaisirs de la table, ne trouvent le bonheur que dans le commerce de leurs amis. L’amitié, à les en croire, tient la première place dans l’existence ; elle leur est aussi indispensable que l’air, le feu et l’eau. Leur enlever les charmes de l’amitié, mais ce serait enlever à la terre les rayons du soleil ! Et de fait, l’amitié est chose si honnête (le mot ne fait rien à l’affaire) que les philosophes eux-mêmes la comptent parmi les plus grands biens. — Et