Page:Érasme - Éloge de la folie.djvu/66

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plus triste que la démence ; or, de la folie à la démence, il n’y a pas un doigt ou plutôt c’est la même chose. Car la démence n’est, comme la folie, qu’une aberration perpétuelle de l’esprit. — Grenouilles, mes amies, vous battez la campagne, et sans plus tarder, avec l’aide des Muses, je vais pulvériser votre syllogisme. — Socrate, dans Platon, nous montre comment, à l’aide d’une distinction, on peut trouver deux Vénus dans une Vénus, et deux Cupidons dans un seul ; nos dialecticiens auraient dû faire la même distinction dans la démence, si au moins ils voulaient en paraître indemnes. Toute démence n’est pas funeste ; sans cela, Horace n’aurait pas dit : « Mon esprit est frappé d’une aimable démence. » Platon n’aurait pas placé parmi les meilleures choses de ce monde l’exaltation des poëtes, des prophètes et des amants, et la Sibylle dans Virgile n’aurait pas qualifié d’insensés les travaux du pieux Énée. Donc, il y a deux espèces de démence : l’une, que les Furies, en agitant leurs serpents, répandent sur la terre ; celle-ci allume les fureurs de la guerre, attise la soif insatiable de l’or ou l’amour honteux et criminel : c’est elle qui pousse au parricide, à l’inceste, au sacrilége et aux autres crimes, et qui allume de ses torches vengeresses les remords dans les âmes coupables. Mais il en est une autre qui en diffère essentiellement. C’est une émanation de ma bienveillance pour l’espèce humaine. Elle se manifeste par une illusion agréable de l’âme, qui en efface les soucis, et la plonge dans un torrent de voluptés. C’est cette illusion que, dans une lettre à