Page:Érasme - Éloge de la folie.djvu/68

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tendre des accords ravissants, ou encore celui qui, né pauvre et dans un rang infime, se prendrait pour Crésus, roi des Lydiens. Ce genre de folie, quand il est tourné à la gaieté, comme cela arrive le plus ordinairement, fait tout à la fois les délices de ceux qui en sont atteints et de ceux qui en sont témoins, bien que fous eux-mêmes à un moindre degré. Il est, au reste, bien plus commun qu’on ne le pense ; le fou rit du fou et chacun procure du plaisir à son voisin ; et il n’est pas rare de voir un maître fou s’amuser aux dépens de qui l’est moins que lui.

Je vous en donne ma parole, le suprême bonheur est de réunir en soi toutes les nuances de la Folie ; pourvu cependant qu’on ne s’écarte pas trop de l’espèce de Démence qui est de mon essence même. Celle-là, vous le savez, est si répandue, que je doute fort qu’il y ait de par le monde un homme d’une sagesse si continue, qu’il ne ressente de temps à autre quelques petits accès. La différence entre les deux genres de démence dont nous parlons consiste en ceci : l’un prend une citrouille pour une femme et reçoit sans conteste le nom d’insensé ; l’autre, bien qu’il partage sa femme avec ses amis, ne l’en regarde pas moins comme une Pénélope et ne cesse de vanter son bonheur ; dans le monde, cette erreur ne le fera pas baptiser fou ; son cas est trop fréquent ; il a tant de confrères parmi les maris !


Au rang de mes féaux, il faut mettre encore ces chasseurs intrépides, pour qui courre les fauves dans les bois est le plaisir suprême.