Page:Érasme - Éloge de la folie.djvu/83

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fait pas croître partout ce vin généreux qui chasse les peines et ranime l’espérance ; Vénus ne prodigue pas à tous les trésors de la beauté ; Mercure est plus avare encore des dons de l’éloquence ; les richesses ne tombent que sur quelques privilégiés d’Hercule, et les couronnes royales sur ceux de Jupiter. Mars laisse trop souvent la bataille indécise ; Apollon trop souvent aussi renvoie sans espérance eux qui sont venus le consulter. Le fils de Saturne frappe la terre de sa foudre ; Phœbus y lance ses traits, qui portent au loin la peste, et Neptune engloutit plus de navigateurs qu’il n’en conduit au port. Je ne vous parle pas de ces divinités malfaisantes comme Pluton, la Discorde, les Furies, les Fièvres et toute cette séquelle hideuse, je ne dirai pas de dieux, mais de bourreaux. Seule, moi la Folie, je répands indistinctement mes bienfaits sur tous les mortels ! Vous ne me voyez pas exiger de vœux, me mettre en fureur, et demander pour m’apaiser des victimes expiatoires pour peu qu’on ait omis quelque cérémonie de mon culte. Je ne suis pas déesse à bouleverser le ciel et la terre, parce qu’on aura oublié de m’inviter à prendre ma part de la fumée d’un sacrifice ou toute la troupe céleste aura été conviée. Et sur ce point, il faut le dire les Immortels sont d’une telle susceptibilité qu’il est beaucoup plus sûr de les négliger complétement que de s’occuper d’eux. Ils ressemblent à ces gens irascibles et faciles à blesser qu’il est plus avantageux de ne pas connaître du tout que d’avoir pour amis. Je prévois que vous allez me faire une objection :