Page:Érasme - Éloge de la folie.djvu/98

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— Le Sauveur avait-il pu prendre la figure d’une femme ou d’un diable, d’un âne, d’une citrouille ou d’un caillou ? Et, admettant qu’il eût pris la forme d’une citrouille, aurait-il pu prêcher, faire des miracles et être crucifié ? — Qu’eût consacré Pierre, s’il avait consacré pendant que le Christ était encore sur la croix ? — Au même moment, pouvait-on donner le nom d’homme au Christ ? — Après la résurrection sera-t-il permis de boire et de manger ? » Prévoyance admirable, penser aux vivres si longtemps à l’avance !

Ce serait à n’en pas finir que de citer leurs innombrables niaiseries dans ce genre, et mille autres encore non moins sérieuses, sur les formalités, les quiddités, les eccéités, toutes chimères qui échapperaient aux yeux les plus perçants, à moins qu’ils ne fussent de la force de ceux de Lyncée, qui voyait à travers les plus épaisses ténèbres, ce qui depuis ne s’est jamais vu. La morale de ces théologastres est toute farcie de sentences si paradoxales que les paradoxes des stoïciens pâlissent devant elles, et semblent des maximes grossières et triviales. Ils nous diront, par exemple, qu’il est bien préférable de tuer mille hommes que de raccommoder le jour du dimanche le soulier d’un pauvre ; qu’il vaudrait mieux laisser périr l’univers, avec armes et bagages, que de hasarder le plus petit mensonge. Mais ces très-subtiles subtilités sont encore subtilisées par la multiplicité de leurs systèmes. Les sinuosités du labyrinthe n’étaient que jeux auprès des ambages des Réaux, des Nominaux, des Thomistes, des Albertistes, des Ockanistes, des Scottistes et