Page:Œuvres complètes de Delphine de Girardin, tome 2.djvu/103

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Valentine dit ces mots d’un ton si calme et avec une conviction si profonde, que M. de Lorville crut sérieusement à sa répugnance pour un second lien ; il s’étonnait de l’entendre causer d’une manière si naturelle sur un sujet qui aurait dû l’embarrasser. Edgar ne savait pas encore jusqu’à quel point l’orgueil peut paralyser le cœur le plus sensible. Valentine était sincère alors dans l’éloignement qu’elle témoignait pour un second mariage, dans la froideur qu’elle montrait à M. de Lorville. Il n’était plus pour elle cet homme aimable, empressé de lui plaire, dont la conversation avait pour elle tant de charmes, et qu’elle préférait à tous, parce qu’il répondait à sa pensée sans qu’elle eût l’embarras de l’exprimer. Ce n’était plus qu’un héritier qu’on la soupçonnait de vouloir séduire par ambition, et pour être un jour duchesse. Sa coquetterie pour lui était déflorée ; ce n’était plus comme autrefois par crainte de l’aimer qu’elle le fuyait ; c’était avec sincérité, comme on évite un entretien pénible, un ami qu’on ne voit plus qu’avec contrainte, et dont la présence cause plus de gêne que de plaisir ;

Edgar remarqua bientôt ce changement, et comme la vérité a une puissance à laquelle on n’échappe point, il sentit tout ce qu’il avait perdu dans le cœur de madame de Champléry, et s’en affligea profondément. Triste et découragé, il comparait les manières froides et simplement polies, l’air calme et sérieux de Valentine avec cette voix émue, cette gaieté pleine d’agitation, cette coquetterie pleine de tendresse, qu’autrefois il remarquait en elle ; et dans l’excès de sa tristesse, il oublia le talisman qui pouvait lui dévoiler la cause de cette cruelle différence, et peut-être le consoler.

Ainsi Edgar ne songeait plus au merveilleux de sa vie ; la réalité dans toute son amertume le dominait. Valentine n’éprouvait plus aucun plaisir à être près de lui, cela était visible, il le sentait, il en souffrait ; et comment pouvait-il imaginer que ce changement, qui le rendait si malheureux, pût s’expliquer d’une manière favorable ?

M. Narvaux, le voyant sombre et rêvant à l’écart, le faisait remarquer à madame de Champléry.

— Savez-vous bien, disait-il, qu’il joue à merveille le sentiment !… En vérité, cela ferait illusion.