Page:Œuvres complètes de Delphine de Girardin, tome 2.djvu/108

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soirée se passa sans qu’il y parût ; chaque fois que la porte s’ouvrait, la pauvre Valentine tressaillait, une lueur d’espérance se réveillait dans son cœur. Puis un indifférent entrait, et elle retombait dans son accablement. Stéphanie n’osait lui parler, de peur d’ajouter à son inquiétude ; car elle-même commençait à s’inquiéter de la conduite capricieuse de M. de Lorville.

— Voilà comme vous êtes toutes, vous autres jeunes veuves, lui dit en rentrant chez elle madame de Clairange : vous dédaignez les hommes qui s’occupent de vous, et puis, lorsqu’ils se décident pour une autre, vous les regrettez.

— Eh ! qui donc regretté-je ? dit Valentine avec fierté.

M. de Lorville, reprit madame de Clairange d’un ton d’humeur ; jamais je ne me consolerai de vos dédains pour lui. Ce n’est pas ma faute, j’ai fait tout ce que j’ai pu pour vous engager à le bien traiter ; mais vous n’avez pas voulu m’entendre ; je suppose que c’est à cause de vous qu’il n’est pas venu faire part de son mariage à madame de Fontvenel.

— Mais peut-être ce mariage n’est-il pas encore entièrement décidé ?

— Si vraiment ; il en parle lui-même comme d’une affaire conclue ; personne n’en doute, et vous êtes la seule qui n’en soyez pas convaincue. Ah ! vous pouvez vous vanter d’avoir manqué là une bien belle destinée !

À ces mots, elles se séparèrent.

Valentine, restée seule, réfléchit sur la conduite d’Edgar envers elle. Tantôt, elle le haïssait et l’accusait de la plus cruelle fausseté ; tantôt, elle le justifiait par la froideur apparente qu’elle avait toujours mise dans ses manières avec lui.

« Hélas ! disait-elle en pleurant, comment pouvait-il deviner que je l’aimais ! Je lui cachais toutes mes émotions, je l’évitais sans cesse, et je répondais en riant et avec légèreté à tout ce qu’il me disait d’affectueux ! Ah ! s’il pouvait savoir ce que je souffre en ce moment, sans doute il aurait pitié de ma douleur… peut-être même en serait-il heureux ! »

Cette pensée la plongea dans un chagrin qu’elle n’avait pas encore éprouvé. Combien elle se trouvait punie alors de cette dissimulation qui lui faisait cacher les sentiments qui peuvent