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MONSIEUR LE MARQUIS

j’aimerais mieux un lièvre, mais il faut se résigner. Venez à ma place, vous distinguerez parfaitement ses traits ; la voyez-vous derrière ces arbres ?

— Je vois un chapeau…

— Je ne vois rien du tout… Si, si ! je vois une main qui tient un livre.

— Ah ! ah ! j’aperçois des cheveux noirs ; c’est une brune.

— Je la vois maintenant à merveille… Belle ! oh ! belle femme, en vérité ! reprit Melchior Bonnasseau. Sais-tu à qui elle ressemble ? À la nièce de madame Boullard… c’est comme si tu la voyais.

Et la jeune femme qui attirait ainsi l’attention des chasseurs, — la nymphe des bois, — la dryade du chêne, — la nièce apparente de madame Boullard, — entendant parler derrière elle, tourna la tête vivement. Elle aperçut les trois chasseurs qui la contemplaient, elle rougit. Les chasseurs, frappés de sa beauté et de son regard imposant, la saluèrent avec respect, puis ils la virent s’éloigner rapidement.

— Gamin, sais-tu qui est cette dame ? dit l’agent de change à un enfant qui gardait des vaches.

— Oui, monsieur, c’est la femme au fou, répondit l’enfant.

— Qu’est-ce que c’est que ça, la femme au fou ?

— Dame, on l’appelle comme ça dans le pays.

La femme au fou ! répétèrent en riant les chasseurs.

— Retournons au château, dit Lionel ; madame d’Auray doit la connaître ; elle nous dira ce que c’est.

« Dieu, qu’elle est belle ! » pensait-il.


II.

UN DÎNER DE CHASSEURS.


— Oh ! c’est une longue histoire, répondit madame d’Auray aux chasseurs qui l’interrogeaient. C’est tout un roman… — Monsieur de Méricourt, vous ne mangez pas de potage ?

— Non, merci, madame, répondit le prudent voisin de campagne, je n’ai pas envie de m’étouffer sans me nourrir : la soupe est l’aliment des estomacs paresseux.