Page:Œuvres complètes de Delphine de Girardin, tome 2.djvu/32

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Peut-être !… car tout dépend du moment ; en France surtout, où l’esprit et le cœur sont si mobiles.

Après le déjeuner, les deux cousins, loin de songer à se retirer, allèrent s’établir sur deux bons canapés dans la chambre à coucher de M. de Lorville, en prenant chacun un journal. Edgar, de son côté, alla s’asseoir devant son secrétaire, rangea plusieurs objets, et finit par se mettre à écrire, sans s’inquiéter de ce qu’on faisait autour de lui. M. de Fontvenel était si mécontent de cette visite, qu’il n’osait la terminer ; il attendait qu’on se fût assez occupé de lui pour s’éloigner sans paraître trop susceptible, et sans affecter de l’humeur. Il prit la Revue de Paris qui était sur la table, et feignit de la parcourir pour se donner une contenance. De temps en temps, Edgar souriait en le regardant, le lorgnait, puis se mettait à écrire sans lui adresser la parole. Enfin, ennuyé de ce malaise, et rêvant au moyen de trouver ailleurs un secours qu’il n’espérait plus de son ami, M. de Fontvenel se dirigea vers la porte et se disposait à sortir lorsqu’Edgar lui cria :

— Attends donc, étourdi ! tu oublies de prendre ce que tu es venu chercher.

— Que veux-tu dire ? reprit M. de Fontvenel.

— Comment ! tu oseras me soutenir que tu n’avais pas une idée en venant ici ?

— Je ne dis pas cela, mais je suis sûr de n’en avoir parlé à personne, et…

— Qu’importe ! interrompit Edgar ; à quoi sert la parole en amitié ? As-tu lu le Monomotapa de La Fontaine ?

— Oui, mais…

— Ne sais-tu pas

Qu’un ami véritable est une douce chose !
Il cherche vos besoins au fond de votre cœur,
Il vous épargne la pudeur
De les lui découvrir vous-même…

— Je sais par cœur cette fable, reprend M. de Fontvenel ; mais qui peut…

— Une fable, blasphémateur ! s’écrie Edgar en riant ; tiens, prends cette lettre, et ne traite plus de fable ce qu’il y a de plus vrai au monde.