Page:Œuvres complètes de Delphine de Girardin, tome 2.djvu/36

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rarement ; elle nous prend par l’amour-propre. C’est un triomphe obtenu, un destin accompli, car nous nous figurons que cet être jusqu’alors insensible nous attendait pour s’animer. Edgar aurait bien voulu prendre son lorgnon, et deviner la pensée de Stéphanie ; mais l’alarme était donnée, et il n’osait attirer l’attention sur ce talisman dans la crainte qu’on en découvrît la merveille. D’ailleurs il était sans défiance, il savait que la sœur de son ami, la fille de madame de Fontvenel, ne pouvait éprouver que de nobles sentiments. Il aurait fallu un bien grand changement pour altérer ce cœur qu’il avait connu dans son enfance si bon, si généreux.

S’abandonnant tout au plaisir d’une affection naissante, fondée sur de doux souvenirs, Edgar ne quitta plus Stéphanie. Elle-même semblait trouver le plus grand charme à se rappeler avec lui les jeux de son enfance ; et mademoiselle de Fontvenel, ordinairement si calme et si également gracieuse pour tout le monde, parut ce soir-là ce qu’on ne l’avait jamais vue, pleine de gaieté et de coquetterie. Il est vrai que M. de Lorville était un de ces hommes avec lesquels les femmes sont toujours coquettes, sans projet, sans amour, et quelquefois même malgré elles. Le désir de plaire est contagieux dans un homme aimable, soit qu’on le croie dédaigneux ou difficile, soit qu’on le regarde comme une autorité. La femme la plus honnête ne résiste pas à la tentation de lui paraître séduisante, et, sans songer à lui donner une espérance, elle n’est pas fâchée de lui laisser un regret.

En vain plusieurs femmes vinrent-elles interrompre la conversation d’Edgar et de Stéphanie, il trouvait toujours un moyen de se rapprocher d’elle ; en vain les discussions orageuses de la politique attiraient-elles son attention dans le salon voisin, il ne s’y mêlait point. Depuis longtemps, d’ailleurs, la politique lui était devenue indifférente. Il s’intéressait vivement aux affaires de son pays, mais à condition de ne pas écouter ce qu’on en disait ; et comment, en effet, se résoudre à parler politique, lorsqu’on a le secret de toutes les opinions, lorsqu’on a découvert que l’intérêt personnel seul les inspire et les soutient, que chacun choisit dans ses principes de morale ou de gouvernement, celui qui doit le plus lui rapporter ; qu’il y