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DE PONTANGES.

sans quelque terreur, jusqu’aux grands appartements du château, qu’il connaissait à peine.

Amaury faisait pitié ; il tremblait de froid ; ses dents claquaient, son visage était à la fois rouge et pâle ; il avait ses vêtements en désordre et ses longs cheveux épars tout poudrés de neige ; ses grands yeux sans vie erraient autour de lui avec une expression peureuse et sauvage, et tout en lui semblait dire : Je souffre, parce qu’elle m’a oublié !

À sa vue, madame de Pontanges sentit son cœur se serrer ; elle éprouva un affreux remords, le véritable remords d’une âme généreuse, celui d’avoir été un moment cruelle, d’avoir fait souffrir un malheureux.

— Oh ! pardon, pardon, s’écria-t-elle, mon pauvre Amaury !

Elle le fit asseoir devant le feu, puis elle se mit à genoux devant lui ; elle prit son mouchoir, et lui essuya ses cheveux et ses vêtements avec la tendresse d’une mère.

— Oh ! je suis bien coupable ! disait-elle, je t’ai oublié ! Toi si faible, si bon, te tromper, c’est une lâcheté !… Pardon, pardon ! je n’aimerai plus que toi, mon pauvre Amaury, pardon !

Et lui ne comprenait rien à ce langage et à ces caresses ; il répondait tranquillement : — J’ai faim.

Laurence alors courut chercher dans un petit meuble qui était dans le salon des bonbons, du chocolat, du sucre, qu’elle avait là en provision pour lui et pour Clorinde.

— Tiens, dit-elle ; tu vas souper tout à l’heure, prends cela en attendant.

Et l’idiot sauta sur ces friandises avec une voracité effrayante, tandis que Laurence achevait de le sécher, de le réchauffer.

Lionel les contemplait tous deux avec dégoût… Cette femme qu’il aurait admirée la veille dans ses soins pieux comme une sœur de la Charité, comme un ange de vertu, aujourd’hui lui semblait une créature dénaturée. Il ne pouvait lui pardonner de sacrifier à cet être sans pensée, son amour à lui qui était si profond. « Quoi ! se disait-il, c’est là cette femme dont je me croyais aimé il y a peu d’instants, et que voilà maintenant aux pieds de cet idiot et lui jurant d’être fidèle ! Me sacrifier, moi ! moi qui l’aime de tant d’amour, bouleverser toute ma vie, me