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MONSIEUR LE MARQUIS

— C’est d’elle ! s’écrie-t-il avec transport.

Lionel brise le cachet… il tremble, sa vue est troublée. Peu à peu il se remet, et lit :

« Je suis libre, Lionel… M’aimez-vous encore ? »

— Oh ! oui… oui… toujours ! s’écrie-t-il encore comme s’il répondait à elle-même ; oh ! oui, je t’aime !…

La lettre ne contenait que ces mots, mais qu’ils avaient de force magique ! Quelle joie ! mais aussi que de bonheur perdu ! quel tardif appel, ô mon Dieu !…

Cependant elle l’aime, elle n’a jamais cessé de penser à lui. Dans le premier moment il ne comprend que cela : son imagination n’accepte que cette idée ; l’obstacle qui les sépare, le malheur qui l’attend, elle, en apprenant qu’ils sont séparés pour jamais ; cette fatalité qui les a désunis si cruellement : tous ces chagrins sont oubliés ; on les repousse, on n’y croit pas ; ils sont impossibles, on saura les vaincre… On recommencera le passé… on lui rendra l’avenir « Elle m’aime… elle m’aime, et je la verrai demain !… » voilà la seule chose qu’il comprenne dans le chaos d’émotions qui l’agitent ; et puis il l’admire, il l’adore…

— Quel ange ! dit-il ; que c’est bien ! comme elle revient à moi, naïve et tendre ! Un serment l’engageait, elle m’a repoussé ; maintenant elle est libre et elle me rappelle… avant même que les convenances le lui permettent ; elle n’a pu braver sa conscience pour m’aimer, mais elle brave le monde ; sa loyauté seule l’enchaînait, et le jour qui la fait libre me la donne ! Ô Laurence, vous aviez raison, c’était de l’amour, un amour pur, sublime, comme je ne le comprenais pas… non cet entraînement facile qui trahit plus de faiblesse que de passion ; non cet amour banal qui ne sait pas choisir : c’était une préférence passionnée, un culte éternel, un vœu sacré de l’âme, qui enchaîne toute la vie !… l’amour enfin d’une femme tendre, mais chaste, qu’un délire qu’elle ignore épouvante et qui ne peut céder qu’aux entraînements de son cœur. — Et je l’accusais de froideur !… et je l’ai quittée… et j’ai blasphémé contre elle ! Malheureux ! j’ai compromis notre avenir qu’elle rêve en ce moment si beau !… Mais quelle démence !… Ne pou-