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MONSIEUR LE MARQUIS

— Madame de Champigny veut absolument que j’épouse son frère, mais je suis bien décidée à ne point me remarier ; la liberté est une si belle chose, et puis elle est si nouvelle pour moi ! Je suis lasse de vivre pour les autres : cela ne m’a pas réussi jusqu’à présent ; je veux essayer de l’égoïsme à mon tour.

— Tout ce que vous dites me fait mal ; je suis fâché de vous avoir revue…

— Oui, dans les premiers temps, ma métamorphose vous déplaira : mon ancien caractère était plus commode, j’en conviens ; vous devez le regretter : une femme si crédule, sur qui vous aviez tant d’empire, qui vivait pour vous, pour vous attendre, qui vous aimait si naïvement ! Cette femme-là, vous ne la retrouverez pas ; mais vous aurez en moi une amie qui vous consolera de ma perte, qui tâchera de vous faire oublier l’autre.

— Vous faites de l’esprit maintenant !

— Il le faut bien, il ne me reste que cela.

— Ah ! je ne vous aime plus ! dit-il.

Laurence sourit.

— Que c’est affreux ! pensa-t-elle ; comme il m’aime à présent que je ne vaux plus rien, maintenant que mon cœur est éteint, que mes larmes sont taries, maintenant que je suis indépendante de lui ! Comme je le domine ! Ô misère ! que je le méprise de m’aimer ainsi !

Lionel avait le cœur brisé.

— Je ne trouve rien d’elle, se disait-il. Hélas ! comme ils me l’ont gâtée !

Il accusait les autres d’avoir arraché de l’âme de cette femme sa naïveté, sa douceur, sa noblesse ; il ne comprenait pas que lui seul avait fait tout le mal. Il ressemblait à un assassin qui, après avoir tué une femme, reprocherait au fossoyeur de l’enterrer.

Madame de Pontanges, toujours faible, était, malgré elle, attendrie de l’émotion qu’il ne pouvait cacher.

— Je voudrais redevenir ce que j’étais ! dit-elle.

— Ô Laurence ! s’écria-t-il avec joie. Et il leva sur elle des regards si remplis d’amour, qu’elle eut peur…

— Votre femme est jolie, dit-elle tout à coup, s’armant