Page:Œuvres complètes de Delphine de Girardin, tome 2.djvu/50

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la même. Demandez à Fontvenel, ajouta M. Narvaux, il la juge comme moi.

— Je ne suis pas aussi sévère, répondit M. de Fontvenel ; j’avoue que madame de Champléry m’a toujours paru avoir un caractère incompréhensible ; mais je la connais trop pour l’accuser d’être affectée ou capricieuse : elle me fait plutôt l’effet d’une personne dominée par une arrière-pensée qui la trouble et qu’elle craint de laisser deviner, d’une personne enfin qui a un secret.

— Je serais assez de votre avis, dit une femme douée d’un esprit d’observation redoutable ; sa gaieté est de l’agitation, son silence de la contrainte, et ce sont là des symptômes de…

— Quelle idée !… reprit le général avec humeur.

— Non, je vous jure, ce n’est point une folie ; cette jeune femme a quelque arrière-pensée qui la tourmente.

— Elle a peut-être un anévrisme au cœur, dit un jeune homme qui étudiait la médecine ; cela expliquerait cette subite mélancolie.

— Elle n’a rien du tout, monsieur, reprit le bon général impatienté de ces conjectures ; ou plutôt si vous voulez absolument savoir ce qui la tourmente, je vous le dirai moi ! eh bien ! ce qu’elle a… c’est… c’est sa belle-mère, qui est, selon moi, le plus affreux tourment et la plus ennuyeuse maladie qu’on puisse supporter.

— Quelle injustice ! s’écria-t-on de tous côtés ; madame de Clairange qui est si bonne, qui accable sa belle-fille de soins et de tendresse !…

— Oui, elle l’accable… c’est bien le mot.

— Mon général, dit M. Narvaux, je ne reconnais pas là votre bienveillance habituelle. Une femme si parfaite, si généreuse, ne peut faire le malheur de ceux qui dépendent d’elle, et je crois à la préoccupation de sa belle-fille une cause beaucoup plus vulgaire.

— C’est-à-dire, monsieur, que vous croyez que ce qu’elle a… c’est un amant, reprit le général avec colère ; vous conviendrez alors qu’elle le cache bien ; car aucun homme à Paris ne peut, je pense, se vanter de la compromettre.

— À Paris, non… mais…