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OU DEUX AMOURS

Et toute sa passion pour Marguerite lui revint au cœur.

— Adieu donc ! dit la duchesse ; vous m’écrirez… Et elle attacha sur lui ses grands yeux baignés de larmes.

— Et si je m’aperçois que je ne l’aime plus ? car il faut tout prévoir… dit-il avec un sourire étrange qui fit rougir la duchesse.

— Vous viendrez nous rejoindre.

— Et vous ne m’en voudrez pas ?

— Non ; vous pouviez me tromper, j’aurais appris la vérité, et je vous aurais haï ; vous êtes cruel loyalement, cela vaut mieux, Cette franchise me permet de garder de vous un noble souvenir. Vous me reprenez votre amour, mais vous me laissez le mien.

Elle lui tendit la main avec une coquetterie charmante qui le fâcha. Il la trouvait trop résignée et trop spirituelle pour la circonstance ; mais il comprit bientôt qu’elle jouait l’habileté, et qu’elle n’était si douce, si patiente, que parce qu’elle avait encore beaucoup d’espoir. D’ailleurs, que voulait-il ? rompre avec elle sans perdre son amitié. Quel but était le sien en lui faisant ces confidences si douloureuses ? obtenir qu’elle quittât Paris promptement sans lui. Eh bien ! il avait ce qu’il désirait : une rupture amicale, un départ prochain, et dans trois jours Marguerite entendrait dire de tous côtés : « Vous savez la nouvelle ! la duchesse de Bellegarde est partie pour l’Italie ; elle est brouillée avec M. de la Fresnaye, elle a découvert qu’il la trompait, et elle lui a défendu de la revoir. Ah ! il y a eu des scènes terribles. — Et pour quelle femme la trahissait-il ? — On ne sait pas encore son nom, mais on le saura bientôt. » Marguerite se dirait alors : « Mais c’est donc sérieusement qu’il m’aime ? »

Calcul et passion, personne peut-être, excepté les ambitieux, n’avait réuni au même degré ces deux contrastes. L’esprit de Robert, astucieux et froid, était au service de son cœur ardent et de sa nature violente. C’était un pilote impassible, qui savait se servir de la tempête même pour faire marcher le vaisseau, ou, pour parler moins poétiquement, c’était une sorte de pompier calme et prudent de sa nature, mais toujours réveillé par l’incendie.