Page:Œuvres complètes de Delphine de Girardin, tome 3.djvu/181

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
173
OU DEUX AMOURS

sophie à mon secours ; maintenant me voilà calmé… Mais les premiers jours, j’étais furieux ; je voulais tuer tout le monde, et surtout le duc de R… pour vous prouver que M. d’Arzac était maladroit ; je voulais vous attendre à votre porte et vous faire des scènes épouvantables… je voulais vous enlever… je vous ai écrit plus de cent lettres… J’avais une fièvre !… ah ! j’avais la tête perdue !… Mais tout à coup j’ai fait un raisonnement bien simple qui m’a rendu à moi-même : je me suis dit que j’étais là, dans la même ville que vous, logé dans le même quartier ; que vous n’aviez qu’à me dire : Venez ! pour me voir accourir ; que vous étiez encore libre, que vous n’aviez qu’à me dire : Je vous aime ! pour être à moi… et qu’au lieu de me dire : Venez ! vous me disiez : Va-t’en ! qu’au lieu de me dire : Je vous aime ! vous me disiez : J’aime Étienne… ; par conséquent il était bien clair que je ne vous plaisais point, que vous ne vouliez pas de moi, et que ce que j’avais de mieux à faire, c’était de me résigner.

Marguerite était au supplice… En vain ses regards pleins de tendresse et de douleur lui révélaient tout son amour ; il ne faisait pas attention à elle : il se complaisait dans le récit de sa cruelle guérison.

— À présent que tout est fini, je n’en suis pas fâché ; je vois dans ce revers la loi du destin ; le destin ne veut pas que je me marie, puisqu’il donne à un autre la seule femme qui m’aurait fait aimer le mariage ; tant mieux, je ne me marierai jamais… et je ferai Gaston mon héritier.

Marguerite sourit avec amertume.

— Pauvre Gaston ! dit-elle ; et elle essuya ses larmes… ses larmes qu’il ne voulait point voir.

Il regardait la pendule, lui qui oubliait toujours l’heure auprès d’elle… Pensant qu’il voulait s’en aller, elle lui dit pour le retenir :

— Eh bien, vous ne dites pas ce que vous voulez me demander.

— Ah ! c’est une grande preuve de confiance : je voulais vous demander de me laisser emmener Gaston pendant huit ou dix jours.

— Oh ! je le veux bien ; répondit-elle vivement ; le pauvre enfant a tant de chagrin ! il m’ôte tout mon courage…