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OU DEUX AMOURS

Son fusil a parti comme il sautait un fossé ; on l’a trouvé mort dans le bois. M. le comte ignore encore cet accident. Je vous en supplie, madame, venez m’aider à l’annoncer à ce malheureux père. »

— Pauvre Étienne ! dit Robert… cela ne m’étonne pas.

— Vous aussi, vous pensez comme moi que ce n’est pas un accident ! s’écria Marguerite.

Robert ne répondit rien ; de grosses larmes brillaient dans ses yeux. Il n’eut pas la force de faire un mensonge. Il voulut emmener Marguerite, mais elle le repoussa avec violence. Au premier étonnement de la douleur succéda un désespoir déchirant. — Laissez-moi ! cria-t-elle, c’est vous qui avez causé sa mort… je vous hais ! Sans vous, nous aurions été heureux… il m’aimait, tant ! Ô mon pauvre Étienne !… Et tout à coup, avec un accent de cruauté farouche : — C’est lui que j’aimais ! dit-elle, pensant que ce mot barbare devait le venger ; je ne veux plus tous voir jamais ! jamais ! Vous êtes mon mauvais génie ! Ah ! ma mère avait bien raison de vous détester ; je vous hais comme elle à présent !

— Je ne vous demande pas de m’aimer, reprit-il, ni de vous consoler. Je vous demande de pleurer près de moi. — Et comme lui-même il pleurait… il pleurait son bonheur perdu, car il sentait bien que cette mort brisait le cœur de Marguerite… elle s’adoucit peu à peu ; abattue par sa douleur, étourdie par ce coup terrible qui venait de la frapper, elle n’eut plus la force d’éprouver ni colère ni ressentiment ; et elle se laissa emmener par Robert, avec une docilité inerte, comme une personne à qui toute chose est devenue indifférente et que la faculté et le désir de vivre abandonnent.

Oh ! ce fut pour Robert un moment affreux ! Ramener chez lui cette femme au désespoir et qui le haïssait, au lieu de cette mariée heureuse qui l’aimait d’un si fol amour ! quel poignant chagrin ! quelle déception amère ! S’il avait eu des torts, il les expiait tous dans ce moment.

En se retrouvant dans ce même salon où, quelques jours auparavant, elle avait passé de si douces heures, Marguerite reçut une impression violente ; elle s’évanouit… On la porta