Page:Œuvres complètes de Delphine de Girardin, tome 3.djvu/206

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femmes dont l’exquise délicatesse s’effarouche de trop d’éclat, romanesques beautés que la vanité ne saurait éblouir, mais qu’un sentiment généreux doit toucher, qui vivent de rêves et d’harmonie, qui chérissent les arts et la gloire ; pour qui les heureux de ce monde, les riches, les princes, les rois, ne sont point des hommes dangereux, mais qui tremblent d’émotion à la voix sonore d’un illustre poëte, mais qui versent de tendres larmes aux accents d’un Mozart inspiré ; que la vue d’un beau tableau, que la lecture d’un bon livre transportent d’un brûlant enthousiasme, dont l’existence est tout idéale et que l’idéalité seule peut séduire… alors M. de Lusigny appelait à son aide toutes les richesses de son imagination, toute la poésie de son cœur ; il se faisait vaporeux et romanesque, il relisait les Méditations de Lamartine, dont il citait des vers à propos ; il se remettait à chanter Rossini et Bellini ; tous ses soupirs étaient harmonieux. Il était tout amour et mélancolie ; il se faisait plaintif pour être écouté et malheureux pour être aimé ; et pendant qu’il jouait ce rôle, il invoquait son maître Jupiter… Oui, Jupiter, qui s’était métamorphosé en cygne pour séduire Léda par sa candeur, par ses plaintes mélodieuses ; et M. de Lusigny disait, à l’honneur des femmes, que la catégorie des Lédas était une des plus nombreuses ; il rangeait dans cette classe plusieurs héroïnes connues par leur dévouement à de grands artistes : Marie Stuart qui aima l’infortuné Rizzio ; Éléonore d’Este, qui eut pitié de la folie du Tasse ; et de nos jours mesdames de ***, de ***, de ***, qui permettent à nos fameux peintres, a nos grands compositeurs, à nos brillants poëtes, de les célébrer, de les chanter, de les aimer.

Si, au contraire encore, il lui fallait entraîner quelque beauté positive, sans imagination, sans esprit et sans cœur, une de ces créatures banales qui ne vivent point par la pensée, dont l’existence est toute matérielle et qui n’entendent rien aux délicates susceptibilités de l’amour, M. de Lusigny se rappelait l’enlèvement d’Europe.

Était-ce une prude qu’il fallait tenter ? M. de Lusigny se faisait tout de suite humble et hypocrite ; il se rappelait que pour séduire Junon la prude, le maître du tonnerre avait pris la forme du plus chétif et du plus triste des oiseaux, qu’il