Page:Œuvres complètes de Delphine de Girardin, tome 3.djvu/234

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pressentit ces dispositions bienveillantes, et avec une habileté profonde il leur laissa le temps de mûrir. Il avait eu d’abord recours à la crainte, il usait maintenant de la sécurité ; c’était un de ses principes : effrayer d’abord pour émouvoir, rassurer ensuite pour attirer. Il n’en était déjà plus aux coups de foudre, aux apparitions subites, aux rencontres inexplicables, aux regards incessants, aux allusions coquettes et tendres ; il en était à la seconde période de la séduction, à la période des soins délicats, des souvenirs romanesques, que nous appellerons les niaiseries ingénieuses. Les fleurs jouent un grand rôle dans les finesses sentimentales. M. de Lusigny avait trouvé un moyen de rajeunir leur vieux langage. Jusqu’alors il avait toujours évité de porter la moindre fleur à sa boutonnière, et il avait souvent plaisanté ceux de nos jeunes dandys qui ont amené cette mode et qui se croiraient perdus si on les surprenait un soir à l’Opéra sans un camélia ou sans une rose au côté. M. de Lusigny se montrait pour eux impitoyable. Eh bien ! tout à coup, on le vit paraître lui-même avec un petit bouquet de violettes à sa boutonnière. La fleur était modeste, mais le scandale n’en fut pas moins affreux.

— Vous, porter des fleurs !… s’écria-t-on.

— Sans doute, reprit M. de Lusigny ; c’est un ridicule, mais puisqu’il vous réussit, je l’adopte.

Léontine entendit l’exclamation et la réponse, et elle rougit, car elle tenait à la main un bouquet de violettes de Parme. Le lendemain, M. de Lusigny, au lieu de violettes, avait une rose ; et par un hasard bien singulier, c’était encore un bouquet de roses que Léontine tenait à la main.

N’oublions pas de dire que cette année les bouquets d’ordre composite, formés de fleurs variées, les bouquets montés sont fort méprisés. Ces fleurs trompeuses et par cela même plus durables, dont le feuillage emprunté est enlacé de cannetille, dont la tige robuste est un gros fil de laiton, ces bouquets de bouquetière sont remplacés, dans le monde des merveilleuses, par les simples bouquets de jardinier. L’élégance veut que l’on porte une botte de roses, ou bien une botte de muguet. L’unité est de rigueur ; il y a bien encore dans cette masse de fleurs quelque supercherie, mais il n’y a plus d’art ; c’est ce