Page:Œuvres complètes de Delphine de Girardin, tome 3.djvu/262

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pas, ce qui ne les empêche point de les éviter : il y a un dieu pour les aveugles. En arrivant à Saint-Germain, Léontine songea qu’elle ne savait point l’adresse de madame de Lusigny. L’idée de courir la ville en la demandant de porte en porte l’épouvantait. Heureusement, elle se rappela le nom de la vieille amie chez laquelle madame de Lusigny était venue passer l’été ; ce nom était bien connu dans Saint-Germain ; à peine l’eut-elle prononcé, qu’on s’empressa de la conduire devant une antique porte de sombre apparence dont elle franchit le seuil en tremblant.

Madame de Lusigny était sortie depuis le matin, mais elle devait revenir bientôt. On fit entrer Léontine dans le salon, et là elle attendit.

— Elle est allée voir son fils, pensa-t-elle ; sans doute il s’est réfugié dans les environs.

Elle écoutait chaque bruit et regardait chaque chose avec intérêt. Dans sa position, tout pouvait devenir un indice ; les objets les plus indifférents pouvaient avoir un langage et dénoncer la vérité. Auprès de la fenêtre qui donnait sur le jardin il y avait un métier à broder et une table à ouvrage, couverte de pelotons de laine et d’écheveaux de soie. Léontine, jetant les yeux sur cette table, aperçut un petit portefeuille de velours au milieu duquel était un portrait. Elle quitta la place où elle s’était assise pour se reposer, et alla vers la fenêtre ; elle examina le portrait : c’était celui de M. de Lusigny. Il était représenté en négligé, sans cravate, ce qui lui donnait un air sentimental et Colin fort plaisant. Léontine soupira en regardant ce portrait, qui du reste était fort joli ; mais elle rougit affreusement en découvrant à côté de lui, sur la table, une lettre… une lettre de M. de Lusigny. Mon Dieu ! mon Dieu ! qu’elle aurait voulu lire cette lettre ! Ah ! que souvent il est pénible d’être une femme bien élevée ! Une bonne éducation est un trésor qui, comme tous les trésors, est un grand sujet d’embarras pour celui qui le possède. Que de fois les gens bien élevés sont tentés de s’écrier, comme le Bourgeois gentilhomme, mais dans un sentiment tout opposé : « Mon père, ma mère, que je vous veux de mal, non pour m’avoir laissé ignorer les belles choses, mais au contraire pour me les avoir trop bien