— Je suis vautour, oiseau de proie, ci-devant dindon, oiseau domestique. J’ai voulu monter en grade, et quitter cette vile basse-cour où l’on n’attrape que mépris ; mais je me repens bien d’avoir changé : je ne puis m’accoutumer à les dévorer !
— Qui ? s’écria Alméric… dévorer qui ?
— Hélas ! ces bonnes dindes qui ont toujours été si bienveillantes pour moi.
— Imbécile, dit le mendiant, pourquoi t’es-tu fait vautour ? Il valait mieux être un dindon aimé qu’un vautour timide !
Et le jeune étranger ne put s’empêcher de rire de cette réflexion.
Dans un des coins de la cour il y avait un ours, assis sur un banc, la tête baissée sur la poitrine, et plongé dans de profondes méditations.
— Voilà un gaillard qui ne m’a pas trop l’air de savoir non plus son métier d’ours ! dit le mendiant. Comment se trouve-t-il dans ce palais ? quelle vanité a pu l’engager à embrasser la profession d’ours ? Je gage qu’il en avait autrefois une meilleure.
Le mendiant s’approcha de l’animal mélancolique. — Ours, dit-il, qu’étais-tu avant ta métamorphose ? avant d’être ours, enfin ?
— J’étais garçon apothicaire.
— Garçon apothicaire ! répétèrent en même temps Alméric et le mendiant.
— Oui, garçon pharmacien, reprit l’ours ; mais cet état était tourné en dérision. Les hommes me poursuivaient de leur ironie, dans leurs chansons, sur leurs théâtres ; j’ai voulu les fuir, je me suis fait ours… mais je m’ennuie, je n’étais pas né pour la solitude.
— Vieux fou ! s’écria le mendiant en colère, pourquoi as-tu quitté ton état ? il pouvait te venger des hommes que tu détestes, car tu ne me parais pas très-savant, et tu aurais empoisonné l’univers avec tes drogues et tes bévues !
Le mendiant parlait encore, lorsqu’un éléphant gigantesque attira ses regards dans la cour voisine.