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LETTRES PARISIENNES (1837).

au théâtre de M. de Castellane. C’était à peu près le même public. Les belles dames étaient venues assister aux débuts de leur protégée, mademoiselle Davenay ; et, depuis ces débuts, les journaux ne cessent de poursuivre de leurs épigrammes les belles dames et leur protégée.

Nous ne savons vraiment pas d’où vient cette grande fureur des journalistes contre le monde, contre les salons, contre les succès de salons, les talents de salons, les plaisirs de salons, les aumônes de salons ; rien n’est plus vulgaire et plus humble que cet acharnement, rien n’est plus injuste aussi. Ces messieurs parlent des salons avec la haine de gens qu’on en aurait exclus. Cela n’est pas ; ils savent au contraire que lorsque les personnes dont ils dépendent leur permettent d’aller dans le monde, on les y accueille avec bonne grâce, avec empressement ; ce n’est donc pas au monde qu’ils devraient s’en prendre du peu de liberté qu’ils ont d’y venir. Mais il est à remarquer que les esprits dont la mission est de détruire les préjugés sont précisément ceux qui ont le plus de préjugés et qui les professent avec le plus d’aveuglement. Voilà vingt ans que l’on crie contre les salons, contre la stérilité des salons, contre la puérilité du monde, sans s’apercevoir que tous nos hommes d’État, tous nos hommes de génie, sont hommes de salons. Parce que Jean-Jacques a été laquais, on en a conclu que pour faire du style il fallait être né dans une condition vulgaire, ou, si l’on était bien né, réparer ce tort en vivant dans un monde commun ; l’on a oublié tous les faiseurs de beau langage que le monde élégant avait enfantés ; et maintenant encore, malgré l’expérience, on nous parle sans cesse de la misère intellectuelle des salons, de l’incapacité de l’homme du monde, de la futilité de ses idées, de la petitesse de ses sentiments ; et il nous faut écouter toutes ces phrases dans le monde, dans un salon, assis entre Lamartine et Victor Hugo, entre Berryer et Odilon Barrot, qui sont pour nous, dans le monde, dans un salon, des causeurs aussi spirituels et aussi gracieux qu’ils sont ailleurs, pour toute la France, d’éloquents poëtes et de sublimes orateurs. N’importe, le préjugé est reçu, il durera toujours ; on dira toujours que le monde ne produit rien, pas un homme de talent, pas une femme de génie, et l’on ne