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LE VICOMTE DE LAUNAY.

secrets détours il parvient jusque dans la salle à manger : là il cherche son secrétaire, il l’aperçoit dans le fond de la chambre, derrière le piano ; il dérange deux montagnes de chaises, il repousse un grand canapé, il manœuvre avec beaucoup d’adresse. Enfin il arrive au but sans malheur ; il met la clef dans la serrure, le secrétaire s’ouvre ; mais au lieu de s’abattre comme un pont-levis, la tablette s’entr’ouvre comme le calice d’une fleur ; le piano la retient, tous les efforts sont inutiles. Devant le piano il y a des fauteuils et un énorme divan ; l’infortuné, après avoir plongé dans l’étroite ouverture une main impuissante, se voit contraint de congédier son créancier sans pouvoir le payer. On n’a jamais d’argent le jour où l’on vient enlever vos tapis.

Ce n’est pas tout : l’infortuné reçoit un billet ravissant, un billet d’amour, ou, ce qui est bien pis, de coquetterie, car il n’est point de malentendu dans le véritable amour ; un délicieux billet, recélant une invitation à dîner. Vite il veut y répondre ; les mots les plus gracieux viennent à sa pensée, il trouve en sa joie vingt manières charmantes de dire oui, car c’est un oui passionné qui sera sa réponse. Il s’élance vers la première table qu’il aperçoit. C’est une table de jeu ; il regarde inquiet si parmi tant de meubles il ne trouvera pas son grand bureau, le bureau est invisible ; il sonne, il appelle. « François, où donc est mon bureau ? — Il est là, monsieur. — Là ! je ne le vois pas — Ah ! c’est qu’il est derrière l’armoire. » En effet, le bureau est complètement masqué par une immense armoire de Boule, trop belle, trop précieuse pour que l’on songe à la déplacer. D’ailleurs il y a une commode devant elle. « Donnez-moi mon écritoire, au moins. — Monsieur, c’est que je suis en train de nettoyer l’encrier, parce qu’il y avait dedans beaucoup de poussière. Monsieur sait qu’on attend la réponse. » Ô patience ! l’infortuné se décide à répondre verbalement : « Dites que j’aurai cet honneur… que je demande mille pardons à madame de R… de ne pas lui répondre, mais qu’on vient d’ôter mes tapis et que je n’ai pas de table pour écrire. » François n’a pas compris le commencement de la phrase : « J’aurai cet honneur ; » il traduit ceci vaguement : « Monsieur demande mille pardons à madame, s’il n’a pas l’honneur de