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LE VICOMTE DE LAUNAY.

Que de femmes ! que de monde ! nous dirons comme cette portière de Henri Monnier : Il y avait un monde affreux ! Le tournois n’avait pas eu lieu depuis quinze jours, et c’était à qui viendrait le voir ; les gradins étaient couverts de spectateurs, et les allées étaient remplies de mécontents qui n’avaient pu trouver à se placer. Ce grand succès nous réjouit : il prouve que les choses niaises et de mauvais goût ne sont pas les seules qui réussissent à Paris, et que l’heure est venue d’essayer des fêtes nouvelles, de tenter des jeux hardis, des joutes, des combats, de sortir un peu des lieux communs équestres, politiques et dramatiques avec lesquels nous sommes censés nous divertir depuis vingt ans. À propos de vieux plaisirs, nous sommes allé lundi au Ranelagh. Sur une affiche on lisait : Ancien grand Bal de Paris ; il est sans doute fort ancien, et ses danseurs sont trépassés depuis longtemps. La salle était vide ; une fort belle salle, vraiment très-bien éclairée ; un orchestre excellent. Un fort bon cornet à pistons, le Dufresne de la banlieue, jouant les airs les plus nouveaux. Beaucoup de monde en dehors de la salle, regardant… jouer les musiciens ; derrière cette foule, beaucoup de voitures, des femmes assises dans leur calèche, regardant… jouer les musiciens ; et puis un homme criant de moment en moment : Allons, messieurs, en plesse ! en plesse !… cela veut dire « en place ». À Passy, on a adopté la prononciation anglaise, à cause des Anglais qui peuplent ce beau séjour. En plesse, messieurs, mesdames ! mais cette voix n’éveillait personne ; aucun ancien danseur ne ressuscitait ; l’ancien grand bal restait toujours désert. Enfin, un vieillard octogénaire, un ancien danseur, entraîné par ses souvenirs, eut pitié des plaisirs modernes ; il alla chercher une danseuse : c’était une petite fille de huit ans ; il la choisit comme une excuse à cette folie qu’il se permettait encore. Il recruta un clerc de notaire et son amie, pour leur servir de vis-à-vis ; le clerc de notaire alla chercher un confrère dans la foule ; le confrère se procura une danseuse ; et en moins d’une demi-heure, la contredanse fut complète ; contredanse simple, il est vrai, contredanse à huit ; mais cela suffisait pour danser, et toute la foule assistait à ce petit ballet perdu dans l’immense salle de l’ancien grand Bal de Paris. Le vieillard glissait