Page:Œuvres complètes de Delphine de Girardin, tome 4.djvu/162

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
156
LE VICOMTE DE LAUNAY.

de monde, cela formait un second étage de spectateurs ; puis au bas du quai troisième foule, troisième étage de spectateurs ; et puis enfin dans les pavillons, quatrième foule, quatrième étage de spectateurs. Sur les quais, cinq grandes colonnes disant en lettres d’or 27, 28, 29 juillet 1830, et des milliers de drapeaux tricolores répétant 27, 28, 29. Sur le bleu 27, sur le blanc 28, sur le rouge 29. C’est très-commode d’avoir trois couleurs quand on a trois jours glorieux à célébrer. Les pavillons étaient tendus en rouge et ornés de grosses lanternes bleues, blanches et rouges qui faisaient un effet charmant. Mais ce n’était rien encore : c’est la Seine qui était jolie et coquette avec ces longues barques, avec ces grands bateaux à vapeur pavoisés de bandelettes et de flammes de toutes couleurs, avec ses mariniers, sa musique militaire, avec ses nageurs invisibles dont le drapeau léger avait l’air d’un papillon tricolore voltigeant au milieu des flots ; avec ces mauvais plaisants qui naviguaient dans un tonneau, ramant en cadence avec leurs bras ; et qui, lorsque le tonneau s’emplissait, disparaissaient gaiement dans la Seine aux grands applaudissements de la foule. Oh oui ! la Seine était bien belle ainsi, et nous nous demandions pourquoi le beau fleuve joue un si petit rôle dans les plaisirs de Paris. La Tamise est tous les jours en fête à Londres ; les promenades en bateau y sont un délice, et chez nous elles sont inconnues : d’où vient cela ? il y a sans doute une raison à cette absence des plaisirs aquatiques, dans une ville où l’on aime tous les plaisirs ; peut-être sommes-nous hydrophobes ? Cela se pourrait bien, et cela expliquerait bien des choses.

Les jouteurs étaient divisés en deux camps : les bleus et les rouges. Ils portaient tous des vestes blanches, leurs bonnets seuls étaient différents. Deux bateaux s’avançaient ; les jouteurs, debout à la pointe du bateau, préparaient leurs lances, c’est-à-dire un très-long bâton terminé par un tampon de cuir ; chaque jouteur appuyait, non le fer de sa lance, mais le tampon de sa lance sur la poitrine de son ennemi ; le choc était terrible, l’un des deux perdait l’équilibre et tombait dans l’eau ; alors les fanfares retentissaient et les fusées partaient sur la rive pour proclamer la victoire ; tous les rouges furent vain-