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LE VICOMTE DE LAUNAY.

facile ; vous n’avez qu’à lui parler d’une découverte nouvelle, il se trahira soudain par son incrédulité ; regardez-le, il est au supplice, son visage se contracte d’impatience, tandis que celui du vrai savant s’épanouit : celui-ci écoute et réfléchit, l’autre se hâte d’abord de nier, afin de ne pas même écouter : le vrai savant recueille les idées nouvelles, en attendant qu’il puisse les accueillir ; le faux savant ne songe qu’à les combattre, il les maudit, il les étouffe. Il a raison, elles le menacent ; chacune d’elles met son savoir en question, chacune d’elles peut amener l’heure qui dévoilera son ignorance, ce grand crime que depuis tant d’années il cache avec tant de soins ; chaque homme ingénieux qui jette par la science une clarté au monde le remplit d’épouvante, et, comme nous l’avons déjà dit, lui fait l’effet d’un procureur général qui va commencer ses poursuites.

Heureusement, les faux savants sont rares au jardin des Plantes, et nous n’aurions pas peur d’eux, s’ils étaient seuls à nous menacer ; mais, nous l’avouons, ils ont là des auxiliaires dont la participation nous inquiète. Depuis huit jours, dit-on, les savants excitent les animaux contre nous ; c’est abuser de leur position. Par toutes sortes de calomnies, on a cherché à nous nuire dans l’esprit des bêtes féroces : on a dit aux ours que nous n’aimions que les belles manières, et ils s’apprêtent à nous recevoir rudement ; on a persuadé au tigre que nous déchirons tout le monde, il est envieux, il nous hait ; l’éléphant est tout rempli de préventions contre nous ; enfin on est allé jusqu’à dire au lion que nous avions dit de lui qu’il n’était qu’un caniche exagéré ; il est furieux, et le gardien a reçu l’ordre de nous laisser entrer dans sa loge par faveur ! Nous prions donc le lecteur de nous pardonner si nous ne faisons pas samedi prochain le Courrier de Paris ; nous aurons été dévoré. Cela sera notre excuse.

Ce n’est pas tout : chaque jour voit s’augmenter le nombre de nos ennemis ; les élégants chasseurs de l’Union se révoltent aussi contre nos innocentes et mauvaises plaisanteries ; ils nous accusent de nuire à leurs plaisirs, et, s’ils pouvaient, ils exciteraient de même leurs animaux contre nous : par malheur, ces animaux sont rebelles ; on a de la peine à les dresser, et