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LETTRES PARISIENNES (1837).

travaille obstinément pour se donner une contenance !… » Tout à coup vous voyez ses traits se contracter. « Bien ! dites-vous encore, elle partage mon trouble. » Une vive agitation s’empare d’elle ; vous reconnaissez votre empire. Elle tremble, elle s’agite, elle frappe du pied avec impatience… Pauvre femme ! elle combat, elle veut encore retenir le secret brûlant qui lui échappe ; elle veut se taire !… mais non, la parole lui est rendue ; sa bouche, un moment contractée, s’entr’ouvre ; que va-t-elle dire ? « Fuyez-moi !… malheureuse, je l’aime ! » ou bien encore : « Je ne dois pas vous entendre ; ayez pitié de moi !… » quelque aveu timide plein de désespoir et d’espérance. Vous écoutez avec angoisse et de tout votre cœur ; enfin elle dit : « Un, deux, trois, quatre, cinq, six… » Ce début vous étonne ; l’infortunée a perdu la raison. Elle recommence : « Un, deux, trois, quatre, cinq, six… et sept !… Il y a une faute dans le modèle ! » et elle jette son ouvrage sur un canapé en maudissant le marchand qui lui a vendu pour un dessus de chaise un dessin commencé avec une faute ! et vous découvrez que pas une de vos paroles n’a été écoutée, que pas un de vos soupirs n’a été compris ; vous découvrez que cette femme émue ne pensait pas à vous, qu’elle appartenait tout entière à sa tapisserie ; que cette inquiétude qui vous semblait une sympathie, que cette agitation que vous regardiez comme la lutte vertueuse d’une âme qui craint le remords, que ce trouble enchanteur, ces impatiences adorables, ces frayeurs, ces rougeurs, toutes ces émotions qui vous avaient séduit, que vous aviez partagées, tout cela venait d’un fil passé dans le canevas, tout cela venait d’une faute que cette femme n’avait pas même commise ! Croyez-nous, le choix d’un bon magasin de tapisseries n’est pas une chose indifférente dans la vie.

Nous attendons, pour publier notre grand travail sur les modes, le retour des jeunes élégantes qui veulent bien nous aider de leurs conseils ; il nous faut encore quelques renseignements indispensables ; nous craindrions de nous exposer à de graves erreurs. Nous frémirions d’imiter un de nos innocents romanciers de province qui, pour donner à un de ses romans mondains une ravissante couleur parisienne, a eu le malheur de se permettre la phrase suivante : « L’apparition de Ma-