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LETTRES PARISIENNES (1838).

messieurs, et dites-le avec nous : ce rôle n’est pas celui qui vous convient. Ce n’est pas ainsi que doit être représenté, dans la capitale de la France, par des hommes héritiers de noms glorieux, le parti de la vieille monarchie, quand ce parti est si noblement représenté dans l’exil par deux femmes de courage, par deux enfants pleins de dignité. Sans doute, il est de nombreuses exceptions à cette générale folie. Nous connaissons plus d’un jeune fils de duc qui mène une vie laborieuse, et qu’un avenir de dangers et de privations n’épouvante pas. Nous pourrions citer plusieurs exemples de résolutions énergiques que tous les esprits sages doivent admirer ; mais ces exceptions trouvent si peu de sympathie et l’on en parle avec un étonnement si plaisant, qu’elles viennent encore nous donner raison et prouver que, de tous les partis qui divisent le pays, celui qui comprend le moins sa destinée est précisément celui qui devrait être le plus respectable puisqu’il a pour principe le culte sacré des souvenirs.

Le bal masqué donné au profit des indigents était une innovation ; il aura le sort de toutes les choses nouvelles qui, chez nous, ne réussissent que lorsqu’elles ont cessé de l’être ; nous sommes un peuple inconstant et léger qui avons beaucoup de peine à nous accoutumer à ce qui est nouveau : tout changement nous est odieux ; nous admettons la variété, mais la variété dans les trois ou quatre mêmes choses ; nous déménageons souvent, mais nous habitons toujours le même quartier. On dit : « Cela a réussi parce que c’était nouveau… » Eh bien non ! cela a réussi malgré la nouveauté, parce que c’est venu à propos. On ne pardonne aux entreprises nouvelles que lorsqu’elles sont très-opportunes, et que l’on y est préparé longtemps d’avance par le besoin universel. Or, comme le besoin d’un bal masqué de bonne compagnie ne se faisait pas généralement sentir, on a froidement accueilli celui de lundi dernier. Il était cependant fort beau ; les hommes y étaient en grand nombre, mais il n’y avait pas assez de dominos. D’ailleurs, ces dominos de fantaisie ôtent tout le mystère de l’intrigue : les femmes sont tout de suite reconnues. Autrefois, tous les dominos étaient pareils, tous en taffetas noir, même étoffe, même camail, mêmes ornements ; c’était comme les gondoles