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LE VICOMTE DE LAUNAY.

LETTRE DEUXIÈME.

Aspect de la Chambre des députés. — M. Guizot et Moïse. — Le verre d’eau sucrée. — La statue de la Liberté. — L’éléphant de la Bastille. — Inventions nouvelles. — Tissus de verre. — Batiste d’ananas. — Daguerréotype.
12 janvier 1839.

Cette semaine, la politique a envahi toutes les pensées, elle seule s’est emparée de toutes les conversations. On n’entendait que ces mots : « Qu’a-t-on fait à la Chambre ? Étiez-vous à la Chambre ? Qui a parlé aujourd’hui à la Chambre ?… » Enfin, cela était si fort, que nous-même avons été entraîné et que nous sommes allé aussi à la Chambre ; lundi, hélas ! c’était lundi. Pourquoi n’était-ce pas hier ? nous en serions revenu moins triste. Nous n’aurions pas entendu M. Guizot, que nous admirions tant, et nous aurions entendu M. de Lamartine pour l’admirer toujours ; mais nous n’avons de bonheur en rien.

Pour un indifférent comme nous, pour un être aussi impartial, disons plus, pour un esprit aussi impassionnable que le nôtre, c’est un singulier spectacle que celui de la Chambre des députés : des hommes qui, individuellement, sont presque tous capables, et qui, réunis, semblent paralysés ; des hommes qui, séparément, possèdent, soit en talent, soit en expérience, soit en moyens d’action, une valeur réelle, incontestable ; qui, chez eux, ont intelligence et courage, savoir et richesse, et qui, rassemblés en corps politique au Palais-Bourbon, ne forment plus qu’une masse inquiète, sans puissance, sans prestige et sans dignité ; des chiffres qui ne forment point une somme, des armes qui ne forment point de faisceaux, des fleuves bienfaisants tant qu’ils roulent des flots solitaires, et qui viennent se noyer dans un océan capricieux et inutile, mer sans rivage, que soulèvent, comme les vents, toutes les passions impétueuses et toutes les ambitions bouffies, et au fond de laquelle va périodiquement s’engloutir le fragile vaisseau de l’État ! N’est-ce pas un sujet de méditations éternelles ? Voyez enfin de quels nobles éléments se compose la Chambre ! Là, sont de braves généraux auxquels vous confieriez vos armées, et vous feriez bien ; là, sont des hommes de finance