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LE VICOMTE DE LAUNAY.

aura été supprimé comme la plus inutile de toutes les fantaisies ; la souveraineté du peuple sera reconnue, le régime démocratique prévaudra. Vous triompherez, messieurs les ennemis de l’opulence ; votre système sera établi… Mais que diriez-vous, profonds spéculateurs politiques, si le triomphe de vos idées amenait précisément la ruine de vos principes ? Que nous répondriez-vous si nous vous prouvions, à l’aide de l’histoire et des lois, que ce que vous imaginez de plus ingénieux pour fonder la démocratie est justement la seule chose qui puisse reconstituer l’aristocratie ? Brillants historiens, savez-vous l’histoire ? graves législateurs, avez-vous étudié les lois ? — Peut-être. — Alors vous devez connaître l’origine des lois somptuaires, et vous comprenez l’esprit de ces lois. Pourquoi donc à Rome, à Venise, défendait-on le luxe aux classes nobles ? c’était pour les sauver de leur ruine ; et pourquoi la noblesse de Rome et la noblesse de Venise étaient-elles si puissantes ? c’est qu’elles ne s’appauvrissaient point par des folies, c’est qu’elles n’enrichissaient point le peuple de leurs dépouilles. Vous dites, vous, que les riches s’abreuvent de la sueur du peuple, et nous disons, nous, que c’est au contraire le peuple qui s’engraisse des folles dépenses des riches. C’est parce que le duc de *** s’est ruiné en gilets que son tailleur s’est enrichi ; c’est parce que le marquis de et le comte de *** mangent leur patrimoine en chevaux que Crémieux et Hobbs feront fortune. Et vous voulez aujourd’hui que ces jeunes élégants sortent à pied ! grand merci ! vous les sauvez de la misère qui les aurait faits vos égaux, et vous privez le peuple qui travaille de tout l’argent que ces insensés allaient lui donner. Bravo, messieurs, vous êtes du moins des gens sages, si vous n’êtes pas des esprits prévoyants. Vous accomplissez sans le vouloir ce que vos adversaires n’oseraient tenter, vous rétablissez au nom du peuple ces fameuses lois somptuaires qui doivent l’écraser. Vous protégez les fortunes anciennes en empêchant leurs possesseurs de les dissiper ; vous étouffez les fortunes nouvelles qui pouvaient, en rivalisant avec celles-là, maintenir l’égalité ; vous préparez enfin la résurrection de l’aristocratie !… mais on vous pardonnera parce que vous êtes des démocrates enragés.