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LETTRES PARISIENNES (1838).

Ainsi ce droit de grâce lui-même n’est qu’une vaine vérité.

Et vous croyez, messieurs, qu’un monarque emmaillotté de la sorte, qui ne peut ni sauver, ni récompenser, ni punir, aura des flatteurs ? Ah ! vous savez bien qu’il n’en peut avoir, vous qui l’attaquez. En principe, ce n’est pas le roi qui a des courtisans, c’est la royauté, et la royauté n’est pas sur le trône. Mais rassurez-vous, il y a toujours en France un pouvoir et des flatteurs, et comme les flatteurs ont un instinct qui ne les trompe pas, ils savent bien découvrir le pouvoir où il est. Ils savent qu’il a changé de sphère : aussi depuis longtemps ils ont porté leur hommage au dieu du jour, à celui qui donne la renommée, à celui qui consacre la vertu, à celui qui improvise le génie, à celui qui paye l’apostasie, à celui qui vend la popularité, au journalisme !

Et les journalistes ont pour flatteurs tout le monde :

Tous ceux qui écrivent ;

Tous ceux qui parlent ;

Tous ceux qui chantent ;

Tous ceux qui dansent ;

Tous ceux qui pleurent ;

Tous ceux qui aiment ;

Tous ceux qui haïssent ;

Tous ceux qui vivent enfin !

Le journalisme !…

Voilà votre roi, messieurs, et vous êtes tous ses courtisans. C’est encore pour lui plaire que vous nous persécutez, parce que nous seuls avons le courage d’en être l’ennemi, et qu’il sait bien que notre mission est de le détrôner. Oui, nous nous sommes mis dans ses rangs, mais c’est pour le connaître ; oui, nous avons pris ses armes, mais c’est pour le frapper ; voilà le vrai tyran, que vous oubliez de haïr ; voilà le seul despote, fiers indépendants ! contre lequel vous n’osez pas vous insurger, dont vous servez aveuglément toutes les passions, dont vous admirez les faiblesses, dont vous consacrez les mensonges. Ne parlez point de patriotisme, messieurs ; vous n’êtes que des esclaves, et nous seuls sommes les défenseurs de la liberté.