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LE VICOMTE DE LAUNAY.

de gaze de carton qu’on appelait d’un nom peu harmonieux, ne vous laissaient aucune liberté ; gênantes à double titre, elles vous gardaient et il vous fallait aussi les garder ; en dansant, on ne pensait qu’à elles ; nous avions donc raison de dire que les parures de cette époque étaient pédantes. La fantaisie n’y entrait pour rien, et la fantaisie est une fée charmante qui jette un prisme sur tous les objets, qui embellit toute chose, excepté la politique cependant, sur laquelle nous lui trouvons un peu trop d’influence depuis quelque temps.

Mais nous pardonnerons à la fantaisie de régner sur les affaires du pays, parce qu’elle règne partout. Comme nous le disions, elle s’est emparée de la toilette des femmes, elle les a parfumées de coquetterie ; ses grâces toutes nonchalantes donnent de la gentillesse aux beautés les plus sévères. La loi nouvelle n’admet aucune ligne droite, ne permet aucune roideur ; les coiffures sont très-basses, les fleurs sont très-penchées, les plumes sont pendantes, les boucles sont tombantes, les manches sont flottantes ; l’empois et l’apprêt sont aujourd’hui des mots inconnus.

Le matin, chez elles, les femmes sont étendues dans d’énormes fauteuils ou sur de longs canapés ; quand elles sortent, elles se couchent dans leur calèche. La langueur est à l’ordre du jour. Aux modes pédantes ont succédé les modes nonchalantes. La fantaisie le veut ainsi.

La fantaisie a changé tout notre système d’ameublement. Adieu, vénérable table de marbre ornée du classique cabaret de porcelaine : elle t’a chassée du salon. Allez, vases d’albâtre aux fleurs asphyxiées sous un verre inflexible, vous n’habitez plus la cheminée : le velours cramoisi vous a destitués. La fantaisie est entrée dans la demeure, elle a déformé les rideaux, elle a dérangé les cadres, elle a ouvert les armoires, elle en a retiré tous les trésors que dans votre avarice vous y aviez enfouis. Elle a dispersé ces jolies choses sur tous vos meubles ; vous ne savez plus où poser votre bougeoir, votre livre, votre chapeau ; mais vous êtes à la mode, mais chacun s’écrie en entrant chez vous : « C’est charmant ! c’est arrangé à merveille ! »

Du salon, la fantaisie est passée à l’office ; elle a changé la