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LETTRES PARISIENNES (1838).

l’expression d’une femme bien spirituelle et bien aimable, nous avons les ridicules d’été. Il y en a de plus d’une espèce : les gens qui se promènent le chapeau à la main, offrant aux zéphyrs un front chauve ; les vieux créoles en chapeau de paille et en besicles d’or ; les infortunés dont la cravate désempesée a complètement disparu ; les causeurs qui se chauffent devant une cheminée pleine de fleurs en prenant de grandes précautions pour ne point brûler, au feu des hortensias, les basques de leur habit ; les coiffures moyen âge qui se changent en perruques à la Mathurin ; et mille autres plus étranges dont il ne faut point parler ; mais, sans contredit, le plus comique de tous est celui que nous appellerons « la fausse absence. »

À cette époque de l’année, l’usage veut que l’on s’en aille ; les uns vont dans leurs terres, les autres vont aux eaux, quelques personnes même entreprennent de grands voyages. Des élégants qui se respectent ne peuvent rester à Paris, sous peine de passer pour des épiciers ou des journalistes, pour des ministres ou des portiers. Il faut donc quitter la capitale à tout prix. Mais pour aller dans ses terres, il faut avoir des terres ; pour voyager convenablement, il faut avoir beaucoup d’argent en portefeuille. Or, quand on n’a ni fermes, ni argent comptant, que devenir ?

On ne peut pas faire un voyage, soit ; mais on peut toujours faire des adieux. L’élégance n’exige pas que vous soyez à Bagnères ou à Bade ; elle exige que vous ne soyez pas à Paris, et il y a un moyen de n’y pas être, c’est de n’y point paraître en y restant. Rien n’est plus facile : vous fermez vos jalousies, et l’on déclare à votre porte que vous êtes parti. Vous vous enfermez toute la journée, seul avec madame votre femme, dans une petite chambre solitaire tout au fond de la cour. Vous restez là trois mois, pendant lesquels vous voyagez. Vous n’écrivez à personne, et vos amis se plaignent de vous. « Ils s’amusent, disent-ils ; ils nous oublient, c’est tout simple. » Quand minuit a sonné, vous offrez le bras à votre compagne de voyage, et vous sortez avec elle pour vous promener un moment. Un jour, vous êtes censé être à Dieppe, vous respirez l’air de la mer ; le lendemain, vous êtes à Chamouny, vous