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LE VICOMTE DE LAUNAY.

n’y admettait de Français que ceux qu’on ne pouvait se dispenser de recevoir. Le fait est que le banquet royal a toujours l’air d’une table d’hôte. Les étrangers sont peu sensibles à cette préférence ; ils ne viennent pas chez nous pour se voir entre eux ; ils s’attendent à trouver chez le roi nos grands seigneurs à noms historiques, nos belles femmes, nos beaux talents, nos hommes d’État, nos artistes célèbres, tout ce qui fait l’honneur d’un pays, tout ce qui dore une couronne, et non pas à reconnaître là d’anciens visages voyageurs qu’ils ont déjà rencontrés dans tous les coins de l’Europe. On se trompe fort si l’on croit les séduire en agissant ainsi ; on veut leur donner une haute opinion de l’hospitalité de notre cour en n’admettant qu’eux seuls à ses faveurs, et l’on ne parvient à leur inspirer que cette idée : que les grandes illustrations françaises que la cour de Juillet serait flattée de recevoir ne seraient pas flattées d’y venir. Il nous semble qu’il est inutile de faire tant de frais pour accréditer une idée fausse.

Le monde se ranime, malgré le deuil : les légitimistes ont déjà pris la mesure de leur douleur, elle ira jusqu’au mois de janvier inclusivement. Dès les premiers jours de février, les grands salons seront ouverts ; jusque-là les raouts d’ambassade seront les seuls plaisirs que se permettront les femmes de l’ancienne cour. Les femmes de l’autre monde… mais ce n’est pas poli : les femmes de l’autre rive, se réunissent, le mardi, chez l’ancien président du conseil, dont la coquette demeure est le rendez-vous de tout le juste milieu courageux, opposant et de bon goût. Eh bien, on ne le croirait pas, cela est fort considérable. À la vérité, M. Thiers a tant d’avenir qu’on peut lui être fidèle sans danger. La seule chose qui lui nuise, c’est son entourage politique. M. Thiers mériterait de plus dignes flatteurs. M. Thiers, défiez-vous des petits esprits, des petits conseils, des petites haines. Quand on est descendu dans la vallée, le moindre buisson peut vous cacher la montagne, tandis qu’entre les plus hauts arbres on découvre tout l’horizon.

Il y a deux salons politiques à Paris après celui de M. Thiers : le salon de la comtesse de Flahaut et celui de la princesse de Lieven. Madame de Flahaut a choisi la carrière politique comme celle qui convenait le mieux à son activité ; ce n’est