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LETTRES PARISIENNES (1839).

bien : « Quoi ! je pèse deux cents ! je ne me serais jamais cru si lourd ; c’est beaucoup, je ne m’étonne plus si l’alezan est… » Les femmes sont toutes furieuses, elles se disent des injures : « Comment ! s’écrie l’une, je pèse cent quarante livres, autant que toi qui es si grosse ? — Oui, ma chère, on a beau être maigre comme une araignée, on est lourde ; c’est que ce sont les os qui pèsent, vois-tu. »

L’imagination des inventeurs de jeux est merveilleuse. Tout leur devient billard… et quels billards ! Vous voyez six hommes groupés autour d’une espèce de banc. Que font-ils ? ils jouent au billard, billard fantastique dont les billes microscopiques viennent parfois caramboler avec le nez des promeneurs. Le jeu de la carabine, devenu classique à Tivoli, avait là aussi beaucoup d’amateurs. Mais comme la foule était grande et que ses oscillations étaient capricieuses, il arrivait que le vainqueur se voyait tout à coup chassé et déplacé au moment du triomphe ; alors le petit Amour de carton qui s’élance poussé par un ressort dès que le but est atteint, au lieu de couronner le vainqueur, s’en allait, en Amour aveugle, déposer sa couronne de roses sur la tête d’un promeneur ignorant, qui, ne comprenant rien à sa gloire, croyait qu’on lui prenait son chapeau et se mettait à crier au voleur comme un insensé. La rumeur était grande à ce cri ; le faux vainqueur riait en découvrant son erreur ; mais au bout de l’allée, une vieille femme s’en allait disant : « On vient d’arrêter un voleur dans la foule. — Oui, reprenait une autre persuadée, j’ai vu deux sergents de ville qui l’emmenaient. » Voilà comme on écrit l’histoire.

Nous ne saurions vous dire rien de plus, et c’est encore bien méritoire à nous d’avoir vu tant de choses en si peu de temps ; malgré notre bonne volonté, et le désir que nous avions de vous dépeindre cette fête, nous n’avons pu rester là plus d’un quart d’heure. Il régnait dans ce séjour de délices un parfum d’huile, de suif, de grillades, qui nous a fait quitter la partie. Ah ! ce soir-là, nous avons bien regretté les cigares embaumés du boulevard des Italiens.

À propos, nous devons une réparation au cigare. Ce n’est pas lui, l’innocent, que nous poursuivons de nos épigrammes. Fumer n’est pas un crime pour nous. Après de longues fatigues,