Page:Œuvres complètes de Delphine de Girardin, tome 4.djvu/399

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
393
LETTRES PARISIENNES (1839).

beaucoup de perdreaux, de faisans ? — Non, ma mère ; mais c’est égal, c’est un chasseur bien adroit. — Il a tué des lièvres, des lapins ? — Non, ma mère. — Alors quoi donc ? — Il a tué un paletot et deux paires de bas. »

Vous devinez quelle fut notre joie en découvrant cet étrange gibier. M. de B…, qui était avec nous, se pâmait de rire. « Le tour est ingénieux, disait-il, et cela me donne une idée : chaque fois que mon frère va à la chasse, il m’emprunte mon carnier ; bien, la prochaine fois, je lui prêterai mon sac de nuit. »


LETTRE VINGT-TROISIÈME.

La monomanie de l’égalité et la passion du luxe. — La République et la Régence. — Les Catons rococos.
13 septembre 1839.

Le caractère distinctif de notre époque est l’étrange combat que deux passions rivales, rivales en apparence, mais associées en réalité, opposées de langage, mais fraternelles d’origine, se livrent dans les esprits, à l’insu même de ceux qu’elles entraînent. La première et la plus impérieuse est ce besoin d’égalité qui dévore tous les orgueils et dont la susceptibilité ridicule commence à dégénérer en monomanie ; la seconde, la plus dangereuse, parce qu’elle explique l’autre misérablement, est ce besoin du luxe qui bouleverse toutes les classes ; luxe risible, d’un anachronisme monstrueux, qui ne s’accorde avec rien dans notre siècle, et qui semble n’avoir d’autre but que de faire ressortir la mesquinerie de nos fortunes, la bourgeoisie de nos mœurs, la grossièreté de nos manières et l’inconséquence de nos institutions. Voulez-vous savoir ce qu’ils font, nos jeunes et farouches républicains, aussitôt qu’ils ont gagné quelque argent ?

Ils se font meubler un appartement à la Louis XV.

Tout le siècle est là.

Et ils composent leurs plans de république : ils suppriment la royauté et la pairie, ils anéantissent la famille, abolissent la propriété, et demandent des milliers de têtes, assis nonchalamment dans un fauteuil doré, devant une élégante table à