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LETTRES PARISIENNES (1839).

c’est la prodigalité des pauvres diables. Ici, moins on possède, plus on dépense. Avec deux mille livres de rente on mange vingt mille francs par an. On fait le contraire en province : avec vingt mille livres de rente on mange deux mille francs par an. Ceci n’est qu’une simple observation de mœurs ; et cependant, si nous étions un personnage politique, nous verrions dans cette différence la cause de tous nos malheurs, et nous chercherions à résoudre ce problème, qui, lui-même, en résoudrait bien d’autres : Donner aux Parisiens le bon sens des habitants de la province, donner aux habitants de la province le bon goût des Parisiens.

Nous vous disions l’autre jour que les correspondances faisaient les plaisirs du moment ; voici une rencontre épistolaire qui ne laisse pas que d’être assez piquante. Deux femmes qui ont passé quarante-cinq ans, mais qui se sentent toujours jeunes, madame de S… et madame de B…, voyagent ensemble. Ce sont deux nouvelles amies qui, ne se connaissant point depuis l’enfance, espèrent se tromper mutuellement sur leur âge, et c’est entre elles une émulation de jeunesse charmante à voir. Il y a quelques jours, nous allons faire une visite chez une aimable femme que nous surprenons riant comme une folle. « Ah ! nous dit-elle, je viens de recevoir la lettre la plus amusante du monde ; madame de S… m’écrit : « Je suis enchantée de ma compagne de voyage ; madame de B… est une femme adorable ; elle a pour moi des soins tout à fait maternels. » Comment trouvez-vous ce mot-là ? des soins maternels ! connaissez-vous rien de plus plaisant ? — Oui, madame, répondons-nous en riant nous-même de bon cœur ; il y a mieux que cela, c’est la lettre de madame de B…, qui dit, de son côté, la même chose. Elle écrit à son frère que madame de S… est une femme excellente, qui a pour elle des soins tout à fait maternels. » Ces deux voyageuses, d’un âge raisonnable, rivalisant d’ingénuité dans les auberges, et n’ayant d’autre idée que de passer chacune pour la fille de l’autre, nous ont paru un groupe du ridicule le plus exquis, et nous n’avons pu résister au désir de vous le faire admirer.